Eugène Sue étant passé par là, « Les Mystères de Paris » n’est plus un titre employable depuis 1842. Qu’à cela ne tienne, voici Paris Mystères, fruit de l’exploration de Jean-Marc Léri au cœur de ce que la capitale française a accumulé dans sa longue histoire en termes de supplices, d’exécutions, d’assassinats, de messes noires et d’expériences de spiritisme. L’auteur sait parfaitement de quoi il parle, c’est un enquêteur au long cours, passionné et lettré, ex-directeur des Archives et Bibliothèques du Louvre, ancien président de la Société de l’Histoire de Paris, directeur du Musée Carnavalet et j’en passe… Le monsieur est un expert reconnu, nous ouvrons donc le bouquin avec curiosité et confiance, accueillis en outre par Anne Hidalgo, l’actuelle maire de Lutèce, qui préface l’ouvrage et annonce « une plongée captivante au cœur d’un Paris méconnu et fascinant ». Chouette, alors !

Ces « carnets de Jean-Marc Léri » (le sous-titre du livre) s’articulent en six grands chapitres, couvrant l’histoire parisienne du Moyen Âge des Templiers et de l’alchimiste Nicolas Flamel jusqu’au début du 20ème siècle, en passant par l’Ancien Régime et le 19ème, période où la France « avait le goût du fantastique ». L’érudition est de mise tout au long des 270 pages, et l’ironie mordante de l’auteur fait mouche plus d’une fois, notamment lors de son compte rendu aussi hilarant que documenté de la fameuse « Affaire des Poisons », qui défraya la chronique et passionna Madame de Sévigné sous le règne du Roi-Soleil. La Brinvilliers, marquise de son état, puis La Voisin à la même époque, s’occupèrent d’expédier moult sujets ad patres à grand renfort de substances fatales qui ne laissèrent aucune chance à leurs victimes (on apprend les yeux tout ronds que l’aristocrate, infirmière bénévole, se fit la main sur un contingent de malades de l’Hôtel-Dieu avant de s’attaquer à son propre père puis à son mari !). Des affaires grinçantes qui en disent long sur la perverse nature humaine, dans une ville où les exécutions publiques en Place de Grève allaient bon train. Les cadavres parisiens, glissons-le au passage, prenaient ensuite le chemin d’un des trois cents lieux d’inhumation que compta jadis la capitale, en particulier le vaste Cimetière des Innocents, dont Patrick Süskind mentionna la puanteur effroyable dans l’incipit de son fameux roman Le Parfum, et qui fait dans ce Paris Mystères l’objet de plusieurs pages abondamment descriptives.

L’épaisse couverture cartonnée abrite des feuilles à fort grammage, elles-mêmes supports à une mise en page très agréable. L’iconographie en couleurs s’avère riche et variée, reproduisant le Paris d’aujourd’hui et d’avant au gré de photos actuelles et de gravures anciennes (scènes de bûcher et de torture sont au menu, et l’on comprend p.118 que La Brinvilliers, une fois ses agissements découverts, dut à son tour en baver entre les mains des tortionnaires assermentés). On ne peut guère regretter que le style télégraphique du titre choisi, qui ne rend pas justice à la plume de Jean-Marc Léri, habile conteur expert à faire défiler en une belle danse macabre les vicissitudes les plus sombres de l’Histoire de Paris.