« Non, Julie ! Pas ça ! Ne recommence jamais ça !

— Mais pourquoi, p’pa ? »

Ce que Murray Katz ne dit pas à sa fille quand il la voit marcher sur les eaux de la baie d’Atlantic City, c’est qu’elle a eu un prédécesseur illustre. Qui a très mal fini… Car la fille de Murray n’est pas une enfant comme les autres. Elle lui est venue par hasard. À la banque de sperme, ils ont appelé ça une « parthénogenèse inversée ». Le produit d’un spermatozoïde et… d’un ovule, mais de qui ? Murray, le petit juif qui ne croit même pas en Dieu, en a été plus étonné que la jeune Marie devant Gabriel. Et quand la gamine commet ses premiers miracles, Murray, pétrifié, comprend la vérité : Julie est la fille de Dieu. Pour un père célibataire, élever un enfant n’est déjà pas facile. Mais avec une Mère pareille !

Quel roman étrange et incroyable à la fois ! Roman sur lequel je ne me serais jamais penchée si ça n’avait pas été les éditions du Diable Vauvert qui ont l’habitude de proposer des ouvrages de SF de haute qualité et différents de la production habituelle.

James Morrow nous propose ici un roman de SF post-apo, mais aussi un drame social, une dystopie et un pamphlet contre la religion; un roman très difficile à cerner et à enfermer dans un seul genre (ce qui, au final, n’est pas plus mal).

Nous suivons la vie de Julie Katz, de sa naissance à ses 40 ans. Julie Katz, fille de Dieu et de Murray Katz, un juif d’Atlantic City qui garde le phare à la pointe de la ville. Julie Katz qui va vivre ses neuf premiers mois dans un bocal, fécondée on ne sait comment. La petite fille sait qu’elle est différente, mais son père lui interdit de faire des miracles. Sa meilleure amie Phébé, fille d’une lesbienne fécondée par une donation de sperme, le sait aussi et l’encourage à accomplir des actions positives pour changer le monde. De là viendra le dilemme de la jeune fille, car à partir du moment où l’on commence, où doit-on s’arrêter?

Notre Mère qui êtes aux cieux est un roman très difficile à analyser, car bien que Morrow parte dans tous les sens, sa logique reste quand même compréhensible et surtout il y a derrière tout cela une vraie intrigue pleine de rebondissements. La première partie est plus poétique; plus humoristique également notamment parce que Julie et Phébé sont des enfants. La seconde partie s’attache plus à dénoncer la religion et ses dérives tout comme les dérives de ces villes américaines construites pour amuser les gens. La dernière partie est beaucoup plus sombre, souvent très violente et glauque avec des passages assez révulsants. Et pourtant, dans tout cela, l’auteur réussit à nous tenir en haleine jusqu’au bout malgré des derniers chapitres un peu longs.

J’ai moi-même été surprise d’avoir tant apprécié ce livre alors qu’il ne rentre dans aucune case de la SF ou du fantastique. C’est un roman qui nous fait réfléchir, pas tant sur la religion, mais sur notre comportement envers nos semblables.

Le style est particulier avec parfois des passages très soutenus et de la théologie assez poussée; parfois des passages plus vulgaires et plus crûs et d’autres moments un peu lunaires qu’on ne comprend pas forcément; la force de l’écriture résidant plutôt dans le maniement de la langue (on soulignera donc la très belle traduction réalisée !). Il faut donc rester bien concentré à la lecture de ce roman pour ne pas se perdre dans toutes les digressions que prend l’auteur.

CONCLUSION

Notre Mère qui êtes aux cieux est un roman très particulier; assez tordu et déroutant, mais à lire pour ses personnages incongrus, mais touchants, son histoire si terrifiante et pourtant si lyrique et enfin pour la qualité indéniable d’écriture.

Pour information: est sorti au Printemps le nouveau roman de MorrowL’Arche de Darwin, à découvrir sans doute après cette première incursion dans l’œuvre de cet auteur prolifique.