On se souvient que les occupants du vaisseau d’Alien de Ridley Scott étaient sacrifiables selon les imprévus de leur mission. Toutefois à leur insu, ce qui n’est pas le cas de Mickey Barnes : enrôlé volontaire en tant que « consommable » à bord d’une arche spatiale de colonisation, le jeune type (il a la trentaine) sait pertinemment que c’est à lui que le commandement fera appel en cas d’intervention périlleuse, voire mortelle, pour assurer la bonne marche de l’expédition. Cela dit, pas de panique : dans cet avenir lointain où l’espèce humaine essaime dans la galaxie en colonisant les mondes habitables, il est possible de recréer par clonage un individu décédé, personnalité et mémoire incluses. Le pauvre Mickey en est ainsi à la septième version de lui-même, mort violemment une demi-douzaine de fois puis ressuscité après autant de « passages en cuve » éprouvants : au réveil, c’est la méga gueule de bois assurée, et celle-ci dissipée, on le jugera prêt à retourner au casse-pipe si besoin est.

Aux commandes du récit, on trouve un scientifique en la personne d’Edward Ashton, chercheur en médecine et professeur de physique quantique dans l’État de New York. Un intitulé de CV qui pourrait effrayer le simple lecteur beaucoup moins branché « hard science » et à des années-lumière d’apprécier à leur juste valeur les théories et principes complexes qui sont sûrement le pain quotidien de l’auteur. Heureusement, Ashton n’a pas saisi sa plume de néo-écrivain — c’est son premier roman — pour rédiger une thèse de doctorat. En dépit de ressemblances flagrantes avec le scénario du film Moon (2009, de Duncan Jones), l’histoire qu’il nous propose est un délice d’humour distancié, grâce aux commentaires plein d’autodérision de Mickey (enfin, plutôt « Mickey7 »), personnage-narrateur et anti-héros aux prises avec moult problèmes, d’identité (vous verrez pourquoi) mais aussi relationnels : le perpétuel condamné à mort entretient certes une liaison sentimentale plutôt agréable avec une pilote, mais à côté de ça, il ne trouve pas son meilleur ami toujours très loyal ni très sympathique, et ajoutons que la plupart des deux cents colons de son équipage le considèrent avec défiance comme une espèce de monstre contre-nature.

Science-fiction, psychologie (et philosophie), comédie et suspense (la prospective d’interminables voyages sans retour pour s’établir sur des mondes peu accueillants n’a rien de rassurant, surtout si l’on tombe sur des vers géants mangeurs d’homme à l’arrivée) composent ainsi le sommaire de cet épatant roman, bien construit, signé d’un auteur qui s’amuse aussi avec quelques clichés (cf. le gradé peau-de-vache et obtus à la coupe en brosse) tout en se posant d’intéressantes questions d’ordre éthique ou géopolitique. Le monsieur n’entend pas en rester là, si l’on prend au mot ses déclarations d’intention dans la postface du bouquin…

Disponible en librairie depuis le 6 juillet 2022.