Lorsque l’ancienne Marine Kristin Arroyo découvre des clichés inédits de Marilyn Monroe dans les cartons de son grand-père, un célèbre photographe de l’époque, elle ne se doute pas qu’elle vient de mettre les doigts dans un engrenage infernal. Que pourrait-il lui arriver de pire que ce qu’elle a vécu en Irak ? Les combats, la torture non officielle, les frères d’armes qui tombent inutilement, tout cela fait partie des ombres de son passé. Elle va devoir replonger dans tous ces cauchemars pour s’en sortir.

Je ne vous en dirais pas plus sur ce roman, car il faut que vous le découvriez par vous-même afin que vous en profitiez pleinement. Il s’agit bien d’un thriller dans le sens où Philippe Laguerre utilise efficacement les cliffhangers et a su gérer son récit au fil de courts chapitres qui permettent à juste titre l’enchaînement des scènes d’actions. Cependant, je reprocherai à l’auteur – étant grand lecteur de thriller – ce prologue remarquable qui nous plonge dans l’ambiance des derniers moments de la grande actrice et qui pourtant ne m’a laissé que peu de doutes quant à un des secrets essentiels de cette histoire. J’ai cependant été curieux de voir comme il allait se débrouiller pour amener le lecteur dans cette direction, et je n’ai pas été déçu.

Philippe Laguerre est un perfectionniste et il a travaillé le background de ce récit avec une méticulosité remarquable. D’abord Marilyn : il la dépeint comme elle était réellement. Bien loin de la poupée à la plastique parfaite, elle était d’une rare intelligence et savait parfaitement anticiper ses failles. Dans l’histoire, les femmes ont toujours été dédiées à des rôles secondaires et lorsqu’une d’entre elles montrait ses vraies dispositions, elle était rapidement retirée du premier plan. Parmi les différentes thèses complotistes autour de la disparition de Marylin, nombre d’entre elles tournent autour de ce principe vérifié en de multiples circonstances.

Ensuite le personnage de Kristin est très réaliste. Blessée dans sa chair et dans son esprit par ce qu’elle a vécu lors de son ancienne vie de Marine, elle n’en a pas perdu pour autant tout ce qu’elle y a appris. C’est d’ailleurs cela qui va la sauver, mais à quel prix ? Elle va, comme nombre d’anciens soldats, rester discrète sur cette part d’ombre, mais elle a la chance de ne pas disparaître dans une société américaine qui adore ces héros à l’étranger et les évite quand ils rentrent à la maison. Philippe Laguerre n’en est pas à son coup d’essai avec Manhattan Marilyn. Son exercice de l’écriture l’amène ici à mettre en œuvre le contrat tacite qui existe entre le lecteur et l’auteur, à savoir : « Mens-moi ! Mais fais-le bien ! » Et en littérature comme sur les plateaux d’Hollywood, plus c’est gros, plus cela fonctionne. Il faut juste éviter d’attirer trop l’attention sur les grosses ficelles et c’est particulièrement réussi dans ce roman, malgré, avec le recul d’après-lecture, des rencontres et des situations, somme toute, improbables.

Enfin, derniers éléments du background : New York et les USA. Philippe Laguerre a une réelle passion pour New York. En ayant parcouru si souvent ses rues et avenues, il a consacré à Big Apple de nombreux textes et dirigé des anthologies portant sur la cité de multiples éclairages. Sa connaissance de l’objet géographique donne à Manhattan Marilyn une vraie fluidité, car les personnages évoluent avec un grand naturel dans la grande ville. Les États-Unis d’Amérique sont aussi travaillés avec finesse, car y sont mises en valeur ses contradictions profondes, et pas seulement sur ses soldats ignorés. La puissance économique et les altermondialistes d’Occupy Wall Street, la liberté sur toutes les bouches et les officines qui luttent dans l’ombre pour la maîtriser, les opérations extérieures menées à l’étranger qui sapent de l’intérieur le pays en y reniant au loin ses valeurs. Tout cela est énoncé avec finesse, sans la dénonciation brutale d’une société qui se cherche alors qu’elle se vante d’être la réussite même. Pour tout ce travail, cette force tranquille que transmet l’ouvrage, je ne saurais trop vous recommander sa lecture.