Dracula et Ed Wood… Dans l’esprit de nombre d’entre nous, fans d’horreur cinématographique, le nom de Bela Lugosi s’associe systématiquement à ces pôles pour ainsi dire antagonistes : d’un côté le succès, la renommée, la gloire hollywoodienne au début des années 1930 sous la bannière des studios Universal, de l’autre les tournages miteux ourdis, bien plus tard, par le « plus mauvais réalisateur du monde » et sa petite clique d’acteurs marginaux. La biographie dessinée qui nous passionne ici aborde bien sûr ces étapes cruciales de la vie du comédien hongrois, de son vrai nom Béla Blaskó, né à la fin du XIXème siècle dans la ville provinciale de Lugos (il choisira le pseudonyme Lugosi en hommage à la bourgade). Mais la carrière de Lugosi ne peut se résumer à ces deux jalons emblématiques.

Nourri par une recherche documentaire poussée (ainsi que le prouve en index une longue liste de références bibliographiques et audiovisuelles), le travail du scénariste et dessinateur américain Koren Shadmi retrace plus de 70 ans de la vie tantôt riche, tantôt misérable, de l’interprète de Dracula de Tod Browning. « Grandeur et décadence », comme l’indique le sous-titre en lettres rouges de la couverture, ainsi la BD nous apprend que le parcours de Lugosi fut une suite de hauts et de bas, de succès éclatants et de déconvenues humiliantes. Arrivé au terme des 154 pages du livre, on sait tout de ses participations à des productions plus ou moins anecdotiques, de ses mariages à répétition (il eut en tout cinq épouses), de sa fameuse rivalité professionnelle avec l’Anglais Boris Karloff (ils se partagèrent néanmoins la vedette au générique de nombreux films, presque tous oubliés aujourd’hui)… Non linéaire, le récit passe alternativement du fil biographique à des passages où Lugosi, au soir de sa vie, végète dans une chambre d’hôpital hanté par ses souvenirs autant que par les addictions qu’il est venu faire soigner. L’ouvrage est captivant et émouvant, il parvient à construire, sinon une intimité, en tout cas une proximité touchante avec le comédien, qui ne put jamais se défaire de son accent hongrois et dont le parcours alla de pair avec les aléas de l’industrie du cinéma américain, tout aussi richement dépeints. Naturellement, l’auteur a choisi le noir et blanc pour exécuter son ouvrage de brillante facture, qui incidemment nous invite à (re)découvrir, d’un œil plus affûté, la filmographie foisonnante de Béla.

En librairie à partir du 18 août 2021.