La quatrième de couverture livre quelques informations laconiques sur l’auteur de ce roman : ainsi apprend-on que l’écrivain « a écrit des téléfilms et des scénarios », sans en révéler plus. Scott Thomas a en effet à son actif des dizaines de scripts, dans plusieurs genres, tous pour la télévision, et on relèvera notamment avec le sourire que ce quadragénaire natif du Midwest peut s’enorgueillir des scripts de deux très bons longs métrages des aventures de Scooby-Doo, Scooby Doo et le Triangle des Bermudes (2006) et, surtout, La Colonie de la peur (Camp Scare, 2010), dans lequel la Mistery Machine roule dans les traces des slashers à la Vendredi 13. Un show plutôt hardi pour une production destinée surtout au jeune public, avec d’authentiques moments inquiétants et même une approche très sexualisée des personnages (les filles y portent fièrement le bikini, Daphné y compris !).

Et Scott Thomas fait aujourd’hui irruption dans nos librairies avec L’Horreur de Kill Creek, roman de 2017, son premier (il en a signé un second, Violet, paru aux USA en 2019). Quatre maîtres de l’horreur littéraire, chacun excellant dans un style d’épouvante particulier, sont réunis par un magnat de la presse Internet pour une nuit d’Halloween dans une maison notoirement hantée, à Kill Creek, Kansas. Au programme, une interview collective des quatre plumes, filmée au coin du feu et diffusée en direct sur le web… À la lecture de ce pitch, on mesure toute l’importance pour l’auteur de l’héritage du fantastique cinématographique : si vous avez passé un excellent moment avec Vincent Price dans La Nuit de tous les mystères (1959) de William Castle, vous allez vous sentir en terrain connu. Ici, en lieu et place du grand Vincent, le dénommé Wainwright, millionnaire de la Toile, s’amuse à mettre en scène ses invités en comptant générer un maximum de vues sur son site web spécialisé dans les frissons en tout genre. Et bien sûr, l’événement savamment orchestré va finir par échapper à tout contrôle pour basculer dans… l’horreur de Kill Creek.

Thomas apporte un soin énorme aux portraits de ses personnages, le quatuor d’auteurs, aux profils très divers, qu’on peut s’amuser à voir comme les avatars d’écrivains réels (l’un d’eux fait beaucoup penser à R.L. Stine, un autre, fascinant et puissamment érotisé, fait figure de pendant féminin de Clive Barker), Scott Thomas ayant du reste confié lors de la parution du roman aux États-Unis ses préférences en matière de littérature de la peur — Stephen King, Lovecraft, Peter Straub et, en toute logique, Shirley Jackson, auteure en 1959 de The Haunting of Hill House, titre-phare du sous-genre qui nous intéresse ici. Le postulat de départ des écrivains-vedettes rassemblés pour Halloween est par conséquent accrocheur et ludique, cependant le plus grand mérite de Thomas est de parvenir à déjouer la plupart des attentes en matière de récit de maison hantée : contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’histoire est loin de se cantonner aux murs de l’effrayante baraque de Kill Creek. Les personnages font l’expérience de phénomènes étranges lors de leur nuit du 31 octobre, pourtant ils repartent sains et saufs au matin et le pire reste à venir. Et L’Horreur de Kill Creek, animé d’une fibre littéraire aussi macabre que fertile, n’usurpe pas son titre français : le roman fait peur, vraiment peur, et offre en bonus à ses lecteurs le luxe d’une réflexion originale, d’une part sur les motivations du métier de romancier de l’horreur, et d’autre part sur le pouvoir de l’imagination, capable de plier la réalité et, en l’occurrence, de transformer une simple maison abandonnée, pareille à mille autres, en véritable palais des hantises et de la terreur. Sacré bouquin.

Disponible en librairie depuis le 3 février 2021.