Les Ombres d’Esteren est le fruit d’une longue collaboration entre différents membres du collectif Forgesonges. Il s’agit d’un jeu médiéval-fantastique sombre à l’inspiration celtique très prononcée.

On ne peut que tout d’abord admirer le livre en tant qu’objet. Couverture belle et épaisse, l’intérieur n’est pas en reste. Toutes les pages sont en couleurs et de très nombreuses illustrations parsèment le livre et plongent le lecteur dans l’univers des Ombres d’Esteren. On ne peut que féliciter les illustrateurs des Ombres d’Esteren pour le travail accompli, qui s’avère tout simplement ahurissant.

Ce livre I, intitulé Univers, présente à la fois le background et le système de jeu. Le jeu présente une péninsule, Tri-Kazel, à l’influence celtisante rendue tant par sa description géographie – qui fait penser à l’Ecosse, que par la graphie des noms communs, inspirée du gaëlique, ou encore des illustrations de paysage. Tri-Kazel se divise en trois royaumes. Gwidre, dont la religion du temple, monothéiste, a supplanté les anciennes croyances ; Reizh, dont le pouvoir du roi s’affaibli face aux velléités de fonder un Parlement et l’implantation de plus en plus grande de la magience, une technologie proche du steampunk ; enfin Taol-Kaer est le dernier royaume, encore majoritairement attaché aux anciennes coutumes et traditions, guidés par les démorthén, personnages que l’on peut assimiler aux druides.
Les auteurs passent au crible la péninsule dans son ensemble : modes de vie, de pensée, sociétés, habitudes culinaires, conflits théologiques, idéologiques et/ou politiques ainsi que la menace des féondas. Les féondas sont des créatures étranges, venues des immenses forêts harceler les humains.

Le jeu est placé dans une esthétique sombre, des illustrations à l’univers. Tout voyage est dangereux, les populations affrontent le climat – les neiges en plein été peuvent survenir, et la menace persistante mais diffuse des féondas. Ce point de vue n’est pas le seul et tout meneur de jeu peut orienter les Ombres d’Esteren d’une manière porte-monstre-trésor, intrigues politiques, quêtes à la recherche d’artefact ou encore la survie entre personnages.
Il s’agit là à la fois d’un point fort et d’un point faible. Le meneur de jeu est suffisamment libre pour qu’il fasse ce qu’il veut du jeu mais est peut-être trop libre. Le livre de l’Univers ne contient malheureusement pas de scénario ; qui aurait été pourtant fort utile. Les idées surviennent à la lecture mais les auteurs ne proposent pas d’orientation claire et précise.

Il est proposé aux personnages d’interpréter ce qu’ils désirent, du simple guerrier au démorthén, l’équivalent du druide, en passant par le varigal, une des rares personnes qui ose voyager de village en village pour colporter nouvelles et colis. Il est aussi possible d’interpréter des prêtes du dieu unique ou encore des magientistes de Reizh, des nobles… Le jeu n’apporte aucune restriction, que le meneur de jeu pourra indiquer.

Le système de jeu est simple. Les personnages résolvent leurs actions en ajoutant caractéristique + compétence + 1d10 contre un seuil de difficulté. Rien d’innovant donc, bien que toutes les caractéristiques servent aussi à la description psychologique des personnages et la gestion des règles de santé mentale.
La présence de telles règles est alors un indicateur sur la vision qu’ont les auteurs du jeu et ce qu’ils veulent proposer, à défaut de la présence d’un scénario. Les personnages peuvent sombrer dans la folie face aux secrets et dangers qui arpentent Tri-Kazel.

On peut néanmoins faire quelques remarques, dont l’absence de scénario déjà citée mais aussi d’autres d’ordre plus pratique. La plupart des noms communs sont inspirés du gaëlique, une langue dont la prononciation diffère grandement de l’orthographe des mots. Malgré la présence d’un lexique et de quelques prononciations indiquées, tout ne s’y trouve pas. La lecture peut parfois s’avérer pénible, à buter sur tel ou tel mot. Et par la suite comment nommer tel ou tel lieu aux joueurs ?

Malgré ceci les Ombres d’Esteren est une franche réussite tant sur le plan de l’univers dans lequel le lecteur est facilement plongé que par les règles, simples, qui contenteront débutants et joueurs vétérans. On ne peut que souhaiter la sortie rapide d’un écran de jeu tout aussi superbe que le livre de base et une longue vie aux Ombres d’Esteren.