Pour son second roman, la jeune auteure de Rouille — une des belles surprises éditoriales de l’an passé — nous convie à l’autre bout du monde, au Japon, pays où, comme l’indique la dédicace à l’ouverture du volume, Floriane a vécu « l’aventure de sa vie ». On n’en espère pas moins dans notre fauteuil de lecteur, aussi deux intrigues nous attendent, l’une dans le Tokyo d’aujourd’hui, l’autre dans le Japon de la fin du Moyen-Âge, au 15ème siècle, dans laquelle un bûcheron, Jun, tombe sous le charme d’Hikari, une divinité de la forêt à l’apparence tantôt de femme, tantôt de renarde. Un amour prohibé, autant chez les humains que chez les dieux, pour lequel on redoute une issue tragique…

Le conte médiéval imaginé par Floriane Soulas est très beau, et l’histoire d’amour interdit qui lie Jun et Hikari s’avère touchante, propice à une imagerie poétique envoûtante où les instants de grâce comme ceux de sauvagerie s’accomplissent au cœur des forêts dans la blancheur de l’hiver nippon. Et il y a donc une seconde histoire, narrée en parallèle : bien des années après les noces de Jun et Hikari, la toute jeune Mina, lycéenne tokyoïte en 2016, est pourvue d’un don qu’elle vit comme une affliction : extra-lucide, l’adolescente perçoit ce que le commun des mortels ignore, à savoir la population invisible et effrayante des fantômes et des esprits, qui nous entourent, voire nous tourmentent, à notre insu. À l’initiative de Natsume, une camarade de classe étonnamment très au fait des questions surnaturelles et qui sera son guide, Mina va voir se révéler à elle un vaste demi-monde qu’elle ne soupçonnait pas et pourtant bien là, peuplé de kamis, de yokaïs et autres entités fantastiques du folklore japonais.

Pour un auteur, embrasser, l’espace d’un roman, une culture et un imaginaire étrangers est une démarche qui n’a rien d’évident, et le défi n’est pas entièrement relevé. On devine la plume influencée par toute une frange du cinéma fantastique nippon, les « kwaidan eiga » qui firent fureur dans les années 2000 et qui ont sans aucun doute fait frissonner Floriane Soulas durant sa propre adolescence (dans un autre genre, Pompoko d’Isao Takahata compte aussi parmi les références). L’héritage n’a rien de déshonorant, bien au contraire, mais Les Noces de la renarde reprend beaucoup de personnages, de décors, de situations déjà exploités à l’écran, et force est de constater que la partie contemporaine du récit n’a pas le charme de son pendant médiéval : les dialogues entre lycéennes, d’une facture souvent très actuelle, détonent avec la délicatesse des échanges courtois du 15ème siècle, et c’est lorsque l’imagination de Floriane s’évade dans les contrées sylvestres du Japon que l’auteure réussit ses plus belles envolées, tel le chapitre du procès d’Hikari, d’une intensité dramatique cruelle, magnifique. Dommage, enfin, que le texte n’ait pas été plus travaillé pour éviter des longueurs — le roman atteint presque 600 pages, et c’est trop — ainsi que des répétitions qui alourdissent le style (et on ne peut aussi que remarquer des coquilles éditoriales qui n’auraient pas dû passer le barrage des corrections et relectures). Les Noces de la renarde arrive en librairie moins d’un an après la parution de Rouille, une sortie donc un peu précipitée même si elle n’entame en rien le capital de sympathie que tout amoureux de littérature fantastique, de contes et légendes, peut éprouver pour le travail de la jeune auteure.