La jungle, ce n’est pas une forêt comme les autres. Inextricable, fourmillante de dangers, elle nécessite du courage pour qu’on ose s’y aventurer. D’où son analogie symbolique avec l’analyse psychanalytique : l’introspection profonde est souvent semblable à une longue exploration, éprouvante, où l’on trace sa voie à la machette freudienne ou jungienne, à la recherche d’un trésor, de vérités enfouies depuis longtemps sous les amas de lianes qui se sont développées dans les méandres mystérieux de nos boîtes crâniennes. Les Cendres du serpent-monde de Marine Sivan exploite cette veine narrative en nous relatant les aventures d’Erik, un type louche débarqué il y a des années sur l’île de Cahor et qui a laissé tomber ses rêves de fortune en vivant au jour le jour de petites combines et d’expédients. Au courant de sa bonne connaissance à la fois de la jungle et des tribus Natii — le peuple indigène de l’île —, un type du continent, un historien du nom de Silas, approche un jour Erik pour lui demander de le guider à travers le territoire sauvage. C’est parti pour une excursion au long cours dont les finalités ne seront pas celles que l’on croit…

Le manque de repères géographiques et temporels peut dans un premier temps déstabiliser. Le décor est plausible mais il n’a rien de réel : nous sommes dans une contrée tropicale imaginaire, administrée — pillée — par des colons blancs ressortissants d’un royaume non moins fictif, Vergast. Quant à l’époque, seuls des indices, essentiellement linguistiques, nous permettent de situer l’action quelque part dans notre dix-neuvième siècle (le personnage-narrateur, Erik, s’exprime dans un argot criminel tel qu’on peut en lire dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue ou dans les Mémoires de Vidocq). Les différentes péripéties qui attendent les voyageurs (en tout ils sont quatre, le jeune fils de l’historien, Joachim, et un grand costaud à sale gueule nommé Aleit venant compléter le groupe) seront autant d’occasions de remuer des souvenirs pénibles de l’existence des personnages. Chacun ou presque vit en supportant ou en « oubliant » volontairement des traumatismes que l’aventure dans l’île va permettre, peut-être, de soigner. Même si Marine Sivan exécute des figures imposées par le genre (oui, il y aura des volées de flèches perçant le bois des pirogues, oui, il y aura également des serpents, des jaguars, un temple oublié au cœur de la jungle), Les Cendres du serpent-monde est donc avant tout un récit psychologique, doublé d’un discours généreux sur la compréhension entre les peuples. La question philosophique de la possibilité du rachat et de la rédemption (envisagée hors de tout contexte religieux, en tout cas judéo-chrétien) ponctue de même plus d’un chapitre, conférant un supplément d’épaisseur à ce « premier roman », à la linéarité parfois frustrante et néanmoins prometteur, signé d’une auteure qu’on aura sûrement, à l’avenir, beaucoup de plaisir à suivre.

Disponible en librairie à partir du 28 janvier 2021.