La fleur du titre et sa couleur évoquent, telle une madeleine de Proust, La Tulipe noire, non le roman d’Alexandre Dumas mais le film de Christian-Jacque, fleuron sixties du cinéma de genre francophone, dans lequel Alain Delon campe un bretteur masqué dans la France révolutionnaire. Récit de cape et d’épée, le roman de François Larzem met aussi en scène un justicier, ou plutôt une justicière, Faustine, qui, portant loup noir et combinaison de cuir, lutte contre les agissements de l’infâme Marquis de Monzag, bras droit machiavélique d’un empereur fat, impotent et toxicomane. Sourire mutin et boucles brunes, Faustine a repris le flambeau de son père, Armand, le premier « Lys noir », aujourd’hui décédé. La jolie fine lame n’est pas seule pour mener croisade contre les soldats du marquis : Faustine prépare ses missions avec l’aide infaillible de Giuseppe, son vieux maître d’arme, âme généreuse et dévouée, et peut compter sur les surprenantes trouvailles d’inspiration steampunk de l’inventeur Ezéchiel, qui tient à la fois de « Q » (le spécialiste ès-gadgets des aventures de James Bond) et de Tryphon Tournesol. Quand l’histoire débute, la ville de Bayence est déjà dans une situation critique : féru de magie noire et associé à un démon tiré des enfers, le Marquis de Monzag ourdit un attentat pouvant lui ouvrir en grand les portes des pleins pouvoirs…

Le plaisir ressenti à chaque page du Lys noir tient à un éventail de qualités qui nous immergent, un chapitre après l’autre, dans un univers livresque habité de silhouettes que la plume habile de l’auteur nous rend immédiatement familières, qu’on ne met pas une seconde à aimer ou à cordialement détester. Le lecteur devient le complice ravi de Faustine, courageuse et charmante, et de ses précieux aides de camp. La lutte contre les plans du félon Monzag inscrit le récit dans une opposition typique bien/mal, enrichie cependant par l’action de figures ambivalentes qui gravitent autour du trio de héros et de leur ennemi juré. Le démon servant d’auxiliaire au diabolique marquis a l’apparence faussement inoffensive d’une petite fille, et surtout l’aventure fait intervenir un jeune homme prénommé Morgan, prince gitan élevé dans l’amour des siens, et qui se découvre une parenté insoupçonnée avec le grand méchant de l’histoire. Son parcours se double, pour le lecteur, d’un questionnement passionnant sur la séduction aveuglante du mal et, portant plus loin encore, sur les rouages effrayants de la mécanique du fanatisme.

L’élégance du style de François Larzem s’appuie sur une langue française riche et évocatrice, autant à l’aise pour décrire les ors et les affèteries ridicules de l’aristocratie que pour dresser le tableau cauchemardesque des bas-fonds de la fourmillante cité de Bayence, le théâtre du récit. Le souci du détail suggestif se niche jusque dans les choix inventifs de toponymes, et la plume alerte de l’auteur s’amuse également dans l’écriture d’échanges verbaux jubilatoires qu’on suit d’un œil gourmand et le sourire en coin (entre autres, les dialogues entre l’héroïne et ses compères, porteurs d’une émouvante tendresse, ou encore les échanges savoureux qui associent la même Faustine et Anton, son flirt princier). Gare toutefois au choc des derniers chapitres, grâce auxquels l’auteur prend les lecteurs à revers et bascule non sans malice dans une horreur d’inspiration très contemporaine, qui prend efficacement ses distances avec le roman traditionnel de cape et d’épée. Pointe de cruauté supplémentaire : Le Lys noir, Faustine constitue le premier tome d’une aventure en deux parties, et il va falloir patienter de longs mois, jusqu’en juin prochain, pour avoir le plaisir de découvrir le fin mot de l’histoire…

Nanti d’une belle couverture qui nous fait de l’œil, signée Melchior Ascaride (les illustrations intérieures sont de François Larzem), Le Lys noir, Faustine vous attend depuis le 24 août dans votre librairie préférée. Courez-y !