Qui a écrit un jour que les lutins étaient petits ? que les fées étaient douces, fragiles et graciles ? Forcément des humains, et plus exactement des auteurs de fantasy, peu soucieux de refléter la vérité vraie des créatures de l’irréalité, autrement nommée Affre-Monde. Bref, c’en est trop, alors neuf vagues, pas moins, d’intervention dans la réalité ont été programmées pour « réinitialiser la fantasy ».

« J’ai rien pigé à cette histoire » — « Moi non plus. L’important, c’est que ça finisse bien. » Comme le sous-entendent ces deux lignes du dialogue, le récit de l’échafaudeur autoproclamé de fariboles Karim Berrouka se déroule selon un plan exemplairement bordélique. En lieu et place d’une cathédrale romanesque (ou plutôt d’une « narration bâtie comme un palais vénitien », pour reprendre une comparaison usitée en page 362), KB disperse ses personnages en multiples endroits et époques, les reliant par un fil narratif tout ce qu’il y a de plus élastique. Son roman est à aborder comme un jeu de construction multicolore, un édifice souvent branlant et dans les étages duquel l’auteur se régale en jonglant avec les êtres magiques qu’on connaît bien — lutins, ondines, licornes, djinns… — autant qu’avec les mots.

Son plaisir est-il toujours partagé ? L’exubérance de l’œuvre, tantôt agréable, tantôt lassante, nous fait imaginer un auteur s’enthousiasmant de ses propres trouvailles langagières et se laissant à l’occasion emporter par sa propre énergie. Ce n’est pas non plus un crime, mais bien qu’on se divertisse de même, on songe plus d’une fois que le roman aurait été autrement plus percutant ouvragé avec une plus grande rigueur de style : amoureux des mots qu’on devine admirateur d’auteurs tels qu’Eugène Ionesco, Karim accouche de ribambelles de formules délirantes, hilarantes, qu’il fait hélas coexister avec des expressions à la mode qui amoindrissent la magie verbale en nous ramenant cruellement sur notre actuel plancher des vaches (et qui s’avèrent plus d’une fois anachroniques : les gens des années 1980 ne qualifiaient personne de « perché » et ne disaient jamais non plus « de ouf », pour ne reprendre que ces deux exemples). Encore plus dommageable à mes yeux, la présence d’anglicismes fait carrément grincer des dents (« payer attention » : ça, foi de lecteur, personne ne me l’avait encore infligé !). Autant d’indices d’une servitude à l’air du temps qui contredisent l’esprit de liberté, volontiers punk, que Karim ambitionne de faire souffler sur ses pages. Un peu dommage alors, mais le bouquin reste un titre tout à fait recommandable aux amateurs de dingueries littéraires, et je mentirais effrontément si je prétendais ne pas m’être amusé en lisant tout de ce jour où l’humanité a niqué la fantasy. Et en plus, ça se finit bien.

Disponible en librairie le 19 février 2021.