Amateur de frissons, de sursauts ? Vous ne pensez pas qu’on peut avoir peur au théâtre ? Jack l’Éventreur, de Robert Desnos, donne la chair de poule.

Pour parler de ce spectacle, il faut commencer dès le début, avant même le lever de rideau. La salle se trouve au dernier étage du théâtre du Lucernaire, à Paris. On nous convie à suivre l’ouvreuse « au paradis » (le nom de la salle)… mais c’est en Enfer qu’on nous emmène !

Nous ne sommes pas plus de quinze à prendre place sur les bancs  à quelques centimètres de l’espace de jeu.  La salle est minuscule, sous les toits. Sur scène, un violoncelle. Un homme commence à jouer, très doucement, si doucement qu’on discerne à peine les notes. Le volume augmente, jusqu’à transformer le son de l’instrument en une sorte de hurlement symphonique.

Puis, c’est le noir. Total, complet.

Une voix s’élève dans l’obscurité, posée, masculine, agréable. C’est cette voix qui va scander tout le spectacle, un timbre parfait, une diction tantôt survoltée, tantôt méthodique, analytique. Comme les crimes de l’Éventreur. Le texte est d’une poésie macabre  merveilleuse. L’auteur,  Robert Desnos, pouvait se féliciter de ce texte sanguin, sensuel, vampirique.

Le noir complet de la salle et de la scène est agréable, on se surprend à fermer les yeux, bercé par cette berceuse mortifère qui relate les crimes de Jack. La lumière ne se rallumera pas de tout le spectacle. Le texte occupe l’espace, contamine l’imagination, glace le sang, tout simplement.

Quand Jack commet ses méfaits, une lampe torche ou une lanterne est allumée dans un coin de la scène.  Une danseuse, le visage dans l’ombre, le corps dans la pénombre, interprète charnellement les tortures des victimes. Il ne s’agit ni d’illustrer le massacre, ni de transformer la pièce en ballet contemporain. Tout est en ombres, soupirs. Le sang a sa part dans la mise en scène, des passages fugaces, noir sur rouge : les mains rougies de la danseuse, le liquide rougeâtre dans la fiole du médecin légiste dans lequel  narrateur plonge ses doigts…

Les métaphores du vampire sont bien présentes. Jack est un homme séduisant, qui n’effraie pas ses victimes, un homme probablement fin mais d’une force redoutable, un homme visiblement aisé, un dandy qui charme ses femmes avant de les vider de leur sang…  Chacun des crimes, commis entre 1888 et 1891, est détaillé, disséqué, raconté. On ne s’ennuie pas une seconde, tant le texte et beau, tant la tension,  l’angoisse est à son comble (deux jeunes filles à côté de moi ont littéralement sursauté à plusieurs reprises, et l’une d’entre elle a étouffé un cri.)

Hélas, le spectacle a été joué très peu et à public très réduit. Mais je suivrai attentivement le travail de cet auteur et de cette compagnie afin de vous tenir au courant de leur prochain passage. Âmes sensibles s’abstenir car le dénouement du spectacle est si bien mené qu’on ne cesse de se poser la question, tenace et terrifiante sur le chemin du retour : et si nous avions vraiment côtoyé Jack l’Éventreur pendant le spectacle, tapi quelque part dans l’obscurité du théâtre ?

Théâtre du Lucernaire, Paris 15ème, mise en scène de Vincent Poirier, texte de Robert Desnos, avec Nicolas Rivals et Armelle Goujet.