Félinia est le dernier né des Editions Matagot, jadis petit poucet qui a su s’imposer tant auprès de la critique que du public par la qualité de ses produits. Avec Félinia, il ne propose rien de moins qu’un jeu de Micheal Schacht, auteur bien connu outre-rhin à la ludographie longue comme le bras.

Malgré la nationalité de son éditeur, nous sommes donc bien dans un jeu à l’allemande, ce qui se confirme vite avec les règles. Les joueurs y incarnent les marchands d’une ville imaginaire qui vient de signer un accord avec le mystérieux continent voisin de Félinia. Ils devront amener sur place diverses marchandises en échange du droit d’installer des comptoirs, objectif de la partie.

Comment cela se passe-t-il en pratique ? Le jeu présente la particularité de découper ses tours en deux phases bien distinctes.

La première se base sur un système d’enchères: les joueurs vont pouvoir miser sur l’un des marchés du plateau pour en récupérer l’une des marchandises. Miser plus tôt permet de payer moins cher la marchandise, miser plus tard d’avoir la priorité sur les autres enchérisseurs du même marché. Il s’agit donc à la fois d’avoir une vision claire de ce qui nous est nécessaire, pour investir aux endroits stratégiques, et de faire preuve d’une certaine clairvoyance dans le jeu des autres pour mesurer où ils risquent de se placer.

Les marchandises acquises sont ensuite embarquées sur des bateaux moyennant quelques règles de gestion – tous les bateaux n’acceptent pas tous les types de marchandises, mais sont renouvelés régulièrement au cours de la partie. Direction : Félinia! Débute alors la seconde phase orientée placement. A partir de l’un des ports de l’île, il s’agit de faire traverser quelques zones à son marchand jusqu’à celle où installer son comptoir. Quelques restrictions sur la conquête commerciale des lieux et surtout des avantages dans certaines positions particulières viennent bien sûr compliquer cette phase. Un bon placement, notamment sur des zones adjacentes, permet par exemple de récupérer plus de points en fin de partie.

De prime à bord, on retrouve dans Félinia beaucoup des avantages et inconvénients des jeux typiquement allemands. Les interactions entre les joueurs sont limitées. Entre avancer ses propres plans et faire obstacle à un seul joueur, le premier choix est presque toujours le plus avantageux. Les stratégies s’évaluent à court terme; la première phase ne se joue par exemple qu’en prévision de la seconde phase du même tour, jamais au delà. En contrepartie, le jeu est plus accessible et profite d’un équilibrage assez fin.

Mais Félinia sait aussi s’écarter de ses concurrents via son double système enchères/placements. Pris séparément, ces deux mécaniques relèvent du vu et revu. Combinées, elles apportent une certaine variété au déroulement des parties. Cette orientation n’a hélas pas pu se négocier sans quelques anicroches. Les règles sont légèrement plus complexes que la moyenne des jeux à l’allemande, même si le livre de règles est bien écrit. La dimension stratégique est limitée.

A vouloir courir plusieurs lièvres, il s’avère qu’aucune des deux phases n’est complètement maitrisée. La phase d’exploration en particulier est bien terne au regard des couleurs chatoyantes du plateau et du thème censé être exotique. Il faut dire que les liens entre ce dernier et la mécanique sont encore plus ténus que d’habitude…

Ce qui est bien dommage au vu du travail réalisé sur les illustrations. Car pour faire valoir son ramage face à une concurrence pléthorique, Félinia dispose d’un atout de choix, son plumage ! Celui-ci est esthétique et particulièrement bien conçu. Pour fournir des petits bateaux en 3D, les Editions du Matagot ont opté pour des modèles en carton à monter. Le résultat, loin de faire cheap, est franchement convaincant. La boite, sans déborder, est correctement remplie. Tout ceci est à rapporter au prix, et c’est là que Félinia enfonce le clou avec un tarif tout petit (dans les 30€), là où 50€ n’aurait pas choqué !

Les joueurs occasionnels ne devraient pas encore être trop usés par ses mécanismes classiques tandis les amateurs de jeux de gestion auront tout à gagner à tenter l’aventure, vu le prix affiché. Réunir deux publics bien différent mais tout aussi exigeant chacun à leur manière, voilà peut être là la plus belle réussite de Félinia !