Ce sont bien deux mondes qui se côtoient et se mêlent lorsque les circonstances s’y prêtent. Ainsi, là même où un homme volant a lancé sa traversée de la Manche, c’est lors du nettoyage hypocrite après l’évacuation de la jungle de Sangatte qu’on découvre des corps enterrés. De tous âges, de tous sexes. Ces corps s’imposent à notre réalité, comme ces découvertes archéologiques qui vous plantent un chantier de construction juteux. Et puis, il y a cet homme étrange qui débarque, une machette à la main, et qui déterre les corps, les sent et repart comme il est apparu. Voilà une enquête qui est toute désignée pour Bastien Miller.

Et là vous vous dites que l’aventure commence. Et non, finalement, c’est autre chose qui vous est raconté dans ce quatrième roman d’Olivier Norek, la dernière étoile montante du polar qui a succédé à Maxime Chattam et qui occupe la place dans l’attente de la découverte d’une nouvelle pépite. Alors que Surface, son cinquième ouvrage vient de sortir, c’est à Entre deux mondes que je me suis intéressé pour sa sortie poche chez Pocket.

Entre deux mondes, c’est l’histoire de Bastien Miller, le jeune lieutenant qui débarque à Calais et qui va vite découvrir que cet endroit qu’on appelle la jungle se retrouve au centre de l’attention de tous, mais pas vraiment les gens qui y survivent. C’est aussi l’histoire d’Adam, le capitaine Sarkis de l’armée syrienne qui résiste comme il peut au régime qu’il est censé servir. Lorsque les choses se gâtent, il envoie sa femme et sa fille en France où doit les rejoindre. Arrivé à Calais, il ne les retrouve pas. C’est enfin l’histoire de Kilani, l’enfant du Sud-Soudan, zombie muet de cette jungle inhumaine dont il est un objet plus qu’un sujet.

Avec ce roman qui renoue avec la grande tradition du polar noir à la française, Olivier Norek nous emmène dans ce lieu qu’on préfère ignorer et qui est le quotidien des migrants en instance, en espoir de Royaume-Uni, du côté de Calais. Il ne faut pas s’attacher aux migrants, tout comme aux patients d’un service de soins palliatifs, car ils sont de passage, en partance, mais pour où ? Le voyage est semé d’embûches et les différents clans, les policiers, les humanitaires se livrent à un jeu dangereux. Nous oublions trop souvent l’humain qui se cache dans ce qu’on voit comme une foule étrangère, et ce détournement du regard nous fait passer à côté de tellement de belles choses. Un roman saisissant et passionnant qui met en valeur ceux à qui on n’en accorde aucune.