Les joueurs anglophones ont sans doute déjà entendu parler, voire joué, à Don’t Rest Your Head, un jeu de rôle initialement commercialisé aux USA par Evil Hat Production. Pour les autres, sachez que Les Écuries d’Augias, éditeur de jeux associatif indépendant et militant, en propose désormais une traduction. Mieux encore, il est publié en un coffret contenant le jeu (Don’t Rest Your Head) accompagné de son supplément (Don’t Lose Your Mind). Alors, embarquez pour un voyage mémorable dans cet univers singulier!

Comme son titre l’indique plus ou moins, Don’t Rest Your Head est basé sur un concept très particulier. En effet, les joueurs incarnent des personnages insomniaques que la privation de sommeil a rendus capables de voir une autre réalité. Devenus des «Eveillés» ils ont désormais accès à une dimension parallèle à la nôtre, et à une ville sombre: «Mad City» (la ville démente). Dans cette mégapole (onirique, malsaine, tentaculaire, dirigée et peuplée par des cauchemars) digne des romans noirs, les personnages des joueurs obtiennent des pouvoirs insoupçonnés qui les aideront à lutter contre de terribles ennemis qui les traquent spécifiquement. Mais, pire encore, pour que les «Eveillés» conservent leurs capacités spéciales, ils ne doivent plus jamais succomber au sommeil, sous peine d’être vidés de toute énergie et de devenir vulnérables.

Malgré ses règles simples, Don’t Rest Your Head est destiné à des personnes expérimentées. En effet, bien plus que dans un autre jeu de rôles, les joueurs interviennent autant, si ce n’est plus, que le meneur de jeu. Pour tout dire, c’est même lui qui réagit aux situations que proposent les joueurs plutôt que l’inverse. De même, les jets de dés n’interviennent qu’en cas de mésentente ou d’opposition. Bref, comme dans un rêve, support de l’idée de base du jeu, l’imagination et l’improvisation dominent les parties!

Dans la plus pure tradition du storytelling, Don’t Rest Your Head donne la part belle aux interprètes et le roleplay est au cœur du jeu. Cela est visible dans l’ambiance autour de la table, certes, mais aussi dans ses mécaniques. Par exemple, dans sa phase de création, chaque personnage est décrit par cinq questions posées au joueur: Qu’est-ce qui vous empêche de dormir? (source des insomnies et histoire récente); Que vient-il juste de vous arriver? (première scène de la partie et moment de stress); Que perçoit-on de vous au premier regard? (première impression donnée par le personnage et ce qui reste explicite chez lui); Qu’avez-vous à cacher? (secrets du protagoniste, la part de lui-même qu’il dissimule aux yeux des autres); Quel est votre voie? (objectifs du personnage, ce qui pourrait mettre un point final à son histoire personnelle si rien n’interfère avec celle-ci)

Ces questions seront des outils pour interpréter les personnages et pour que le conteur développe des intrigues propres. Après cette partie background, le personnage-joueur est défini par la «Discipline» (utilisée pour résoudre toutes les actions du personnage). Puis par deux talents, un venu du groupe «Épuisement» (pour accomplir des actions exceptionnelles, voire surnaturelles, mais qui peut aboutir à un endormissement non désiré) et un de «Folie» (pour les actions en dehors du champ des possibilités humaines, mais pouvant entraîner la démence).

Le système de jeu est basé sur des pools de dés appelés «Discipline», «Fatigue» et «Folie» pour les joueurs; opposé à la «Douleur» pour le meneur de jeu. Les actions, réussies ou échouées, sont nuancées par le pool dominant. Des jetons de «Désespoir» et d’«Espoir» permettent aux protagonistes d’intervenir sur la réussite, l’échec et la domination d’un pool de dés particulier. Les joueurs et le conteur définissant, ensemble, la part de chacun dans la description des effets de cette domination, comme dans la résolution des actions. Le meneur de jeu est ici un véritable conteur, au service d’une histoire d’horreur construite par chaque participant. Le revers de la médaille du système est que ce système nécessite, pour chaque joueur, trois dés blancs (pour la Discipline), six dés noirs (pour l’Épuisement), six à huit dés rouges (pour la Folie); ainsi que dix à quinze dés (pour le Tourment) dédiés au meneur de jeu. Sans oublier deux bols, l’un clair ou translucide (pour l’Espoir) et l’autre sombre ou opaque (pour le Désespoir). Ces derniers ustensiles permettant de comptabiliser des jetons destinés à modifier les jets de dés en fonction de la situation.

En résumé, un jeu de rôles original adoptant des règles qu’il convient d’essayer pour mieux les maîtriser. Pourtant, le jeu en vaut la chandelle puisque le résultat est notable dans l’ambiance des parties.

Pour conclure, quelques mots sur Don’t Lose Your Mind. Ce supplément présente divers talents de la «Folie» ainsi que des règles additionnelles pour mieux la mettre en scène. Vingt-six talents en tout y sont décrits au mieux, de leurs effets dans le jeu et autour de la table, jusqu’au devenir des joueurs qui tirent trop sur la corde. De son côté, la partie consacrée à la «Folie» apporte son lot de conseils destinés aux joueurs et au meneur de jeu. De quoi aider ce dernier à peaufiner la création des personnages en choisissant le bon talent. Le tout se terminant sur un point de vue plus technique sur la «Folie» dans le jeu en général.

Est-il encore nécessaire de vous conseiller d’essayer ce jeu hors du commun?