Au micro du groupe Amberian Dawn dans les années 2000, la Finlandaise Heidi Parviainen a choisi en 2012 de voler de ses propres ailes en créant Dark Sarah, formation de metal « cinématique » qui sort ce mois de juillet son nouvel album, le quatrième, intitulé Grim. Une plongée musicale dans un univers de conte, où un sorcier maléfique asservit d’innocents lapins à la lueur d’orbes verdâtres luminescents. Causerie fantasmagorique par écrans interposés.

Khimaira : Grim est présenté comme un album de « cinematic metal » : pourrais-tu nous expliquer ce que tu entends par cette appellation ?

Heidi Parviainen : Quand j’ai lancé Dark Sarah, j’écoutais pas mal de metal symphonique, le genre m’était très familier. Mais pour ma part, je tenais à inclure des histoires à la musique, et je me suis demandé comment faire coexister les deux dans un album. Les paroles sont très importantes pour moi, elles ne sont pas qu’un support à la voix : je veux m’en servir pour créer des images mentales chez les auditeurs, comme lorsque moi-même j’écoute une chanson et que, tout à coup, mon imagination se met à cavaler ! Alors comment appeler ça ? Dans un premier temps, j’ai songé à qualifier cette approche musicale de « movie metal », mais bof, je trouvais ça un peu plat. Pourquoi pas « cinematic metal » ? J’aime bien ce concept : ça nous permet de ménager des passages très théâtraux, d’expérimenter plein de choses différentes qui ne nous cantonnent pas dans un style de metal en particulier.

Du coup, vas-tu parfois chercher l’inspiration dans le cinéma ?

Pas vraiment : je puise mon inspiration à peu près partout, dans tout ce que j’entends, dans ce que je vois… En fait, je commence par avoir l’idée du titre de l’album, et à partir de là j’élabore une espèce de carte mentale et je pars explorer Pinterest en quête d’images en rapport avec la couleur que je souhaite donner à l’ensemble. Je me constitue une collection sur laquelle je garde un œil lors de l’écriture proprement dite. Donc je ne dirais pas que mon inspiration provient de films, même si je m’appuie sur des éléments très visuels. Maintenant, en matière de cinéma, il y a des œuvres qui, en effet, me sont chères : Harry Potter, Le Seigneur des anneaux… J’aime aussi beaucoup American Horror Story, pas forcément en termes d’histoires mais le cachet visuel de cette série me plaît énormément. Et puis les films de Tim Burton, bien sûr, ainsi que quelques pièces de théâtre et des comédies musicales…

Les quatre musiciens du groupe sont-ils impliqués dans l’écriture et la composition ?

Non, aucun d’entre eux ne compose. Plus tard, ce sera peut-être le cas, mais pour l’instant je suis seul maître à bord. Aux débuts du groupe, plusieurs autres personnes sont intervenues dans l’écriture parce qu’à l’époque je ne composais pas moi-même. Depuis, j’ai beaucoup étudié, travaillé et, pour Grim, j’ai réussi à tout faire moi-même — une grande satisfaction personnelle. Mais cela ne veut pas dire que j’arrive en studio avec les morceaux prêts à être enregistrés ! Je prépare des démos, qui incluent les harmonies vocales et la base rythmique. Je travaille aussi les arrière-plans sonores — tout ce qui apporte le feeling « cinématique » — et je fais écouter les bandes à notre producteur, Mikko Mustonen, qui s’occupe ensuite de tous les arrangements metal. Cela dit, il y a quelques chansons du nouvel album que nous avons enregistrées telles que je les avais composées parce qu’elles n’avaient pas besoin d’arrangements metal : My Name is Luna, qui ouvre l’album, ainsi que Ice Heart et Dark Throne, le dernier titre du tracklisting.

My Name is Luna : c’est une chanson écrite à la première personne, et c’est donc Luna qui s’exprime. Qui est ce personnage ?

Les trois premiers albums constituaient une trilogie se concluant avec The Golden Moth, à la fin duquel Dark Sarah, l’héroïne, meurt et se réincarne en papillon de nuit doré. L’autre personnage important de cette trilogie, Dragon, a tenté de sauver Dark Sarah en recourant à un « retourneur de temps », mais la manœuvre a abouti à la création d’une boucle temporelle qui a débouché sur l’univers de Grim, le décor de cette nouvelle histoire. Et Luna, c’est un personnage nouveau, le protagoniste principal du monde de Grim.

Dans la première trilogie d’albums, Dragon était interprété par le chanteur JP Leppäluotto, qui n’est pas officiellement membre de Dark Sarah mais j’ai l’impression qu’il n’est jamais loin du groupe…

C’est vrai (rires) ! J’ai su que de nombreux fans parmi ceux de la première heure tenaient à savoir ce qui arrivait à ces deux personnages, Dragon et Dark Sarah. Il y avait une parfaite alchimie dans ce duo, et l’histoire contée par cette première série d’albums se concluait de façon très triste. Grim apporte une réponse, on apprend ce qu’il advient de Dragon et Sarah, et l’album fait la transition entre la trilogie initiale et la suivante. Toutefois, JP n’interprète pas Dragon dans ce nouvel album mais un autre protagoniste, Wolf.

En mai, on a pu découvrir un premier clip, All Ears!, dans lequel tu apparais vêtue telle une sorte de jolie despote s’adressant à des lapins…

C’est amusant d’entendre que des gens me prennent pour un tyran dans cette vidéo (rires) ! Non, en fait, tout ce qu’on a créé pour ce clip, tout ce qu’on y montre, épouse la ligne narrative de l’album. Dans All Ears!, j’apparais en tant que Luna, qui s’adresse à un peuple asservi par un monstrueux despote du nom de Mörk, et elle les enjoint à se soulever contre lui. Ce qui n’est pas facile car, après des années d’asservissement, ils n’ont plus aucune confiance en eux, ils ne croient plus en leurs chances. Par conséquent elle ne se comporte pas du tout en tyran, bien au contraire, elle est leur sauveur. Sinon, nous avons choisi ce titre pour tourner ce premier clip car c’est une chanson au style un peu plus mainstream que ce que nous avons enregistré jusqu’à présent. Pour Grim, nous avons changé de maison de disques, et l’arrivée au sein de ce nouveau label devrait potentiellement ouvrir notre musique à de nouveaux fans. D’où le choix de ce titre qui présente à la fois les traits un peu bizarres de Dark Sarah et des caractéristiques qui le rendent plus accessibles, comme un refrain entraînant.

Il y a dans l’album une autre chanson particulièrement accrocheuse, The Hex. Celle-là aussi aurait pu faire l’affaire pour un premier clip, et je me suis dit qu’elle serait parfaite pour une autre vidéo…

Malheureusement non, ce ne sera pas notre prochain clip (rires) ! Je dois admettre qu’elle était sur notre liste car, en effet, c’est un morceau très énergique. Mais on souhaite mettre en avant plusieurs styles dans les vidéos… Je dois dire à ce sujet que mon écriture a beaucoup évolué au cours de la confection de cet album. J’ai écrit les premiers titres il y a environ deux ans, les derniers sont beaucoup plus récents, et du coup le style des chansons varie énormément. D’où, comme je le disais, cet album de transition à mi-chemin entre nos premiers disques et ce qui va suivre.

On tombe aussi sur un morceau qui a un titre français et la chanson parle d’alcool… Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

(rires) C’est une chanson très bizarre et que j’aime beaucoup : Luna s’approche d’une maison délabrée et elle voit une lumière verte filtrer à travers les carreaux. À l’intérieur elle aperçoit deux personnes qui, comme tous les autres personnages dans Grim, portent des masques de lapins. Ceux-ci jouent aux cartes tout en buvant un jus de couleur verte, et ils ont plutôt le vin gai ! Au milieu de la table, il y a une sphère luminescente — c’est un orbe, et tous les orbes renferment des pouvoirs magiques. Celui-là appartenait autrefois à une sorcière française surnommée la Sorcière de Paris, d’où le titre. Cette fameuse sorcière appréciait beaucoup la compagnie masculine, si tu vois ce que je veux dire, et le pouvoir magique de l’orbe lui permettait d’attirer à leur insu les hommes jusqu’à elle.

Tu parlais tout à l’heure du sorcier Mörk, un autre curieux personnage de Grim, résolument démoniaque. Fait-il référence à une personne existante ou bien est-ce un pur produit de ton imagination ?

C’est un personnage totalement imaginaire, comme tout ce dont parle Grim. La première trilogie d’albums puisait sans doute beaucoup dans mes sentiments personnels, tandis que ce nouveau disque est entièrement en prise avec les mondes imaginaires et les contes de fées.

Mörk apparaît vocalement dans l’album, et c’est un certain Jasse Jatala qui chante. Il est connu dans ton pays pour avoir atteint la finale de la version finlandaise de The Voice. Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?

Je l’ai découvert comme tout le monde, en regardant la télé. Ça tombait bien car j’étais justement à la recherche de la voix idéale pour chanter les parties de Mörk, et Jasse correspondait bien à ce que je cherchais, à savoir quelqu’un qui serait très doué à la fois pour le chant clair et le chant growlé. Alors, tout simplement, je l’ai contacté par Facebook pour l’inviter à me rejoindre sur cet album. La proposition lui a plu, il a accepté avec enthousiasme.

Ce qui signifie qu’à The Voice of Finland, les candidats ne se gênent pas pour growler sur des titres de metal. Rien à voir avec ce qu’on a en France, où l’émission est affreusement gnangnan…

Ça tient à la personnalité des juges, qui n’ont rien contre ce style musical. Du côté des candidats, beaucoup espèrent que des gens comme Tarja Turunen, par exemple, vont pouvoir les aider à lancer leur carrière en tant qu’artistes de metal [l’ex-chanteuse de Nightwish a fait partie du jury de The Voice of Finland pendant deux saisons — NdR]. Et c’est vrai qu’en Finlande, même si la culture pop reste prédominante et a même tendance à gagner encore en influence, la musique metal a une importance certaine, notamment grâce à des événements d’ampleur comme le Tuska Festival : voir tous ces gens habillés en noir qui affluent pour se rendre aux concerts ou qui vadrouillent autour du site, c’est en soi un spectacle réjouissant. Les fans de metal sont pour la plupart des gens charmants et ils véhiculent des valeurs positives. Même s’ils font parfois peur à voir (rires) !

Justement, venons-en aux concerts : jusqu’à présent, Dark Sarah est surtout apparu sur scène en Finlande, en tête d’affiche comme en première partie, par exemple pour Sonata Arctica. Projetez-vous une tournée dans d’autres pays d’Europe ?

On adorerait, on attend ça depuis longtemps ! Nous savons bien que les gens qui écoutent notre musique ne sont pas tous en Finlande, et on aimerait beaucoup passer les frontières pour partir à leur rencontre, si possible dans un avenir proche. En tout cas nous y penserons dès que la situation sanitaire le permettra… On est prêts, nos bottes de sept lieues attendent déjà sur le pas de la porte !

Propos recueillis via Skype en juin 2020. Remerciements à Heidi Parviainen, au rire et au sourire magiques, ainsi qu’à Magali Besson de Sounds Like Hell Productions, malicieuse ordonnatrice de cette interview.

Sortie de l’album Grim le 17 juillet.

Site officiel du groupe