Au début du siècle dernier, Edith Cushing, une jeune romancière en herbe, vit avec son père Carter Cushing à Buffalo, dans l’État de New York. La jeune femme est hantée par la mort de sa mère. Elle possède le don de communiquer avec les âmes des défunts et reçoit un étrange message de l’au-delà : « Prends garde à Crimson Peak ».

Une marginale dans la bonne société de la ville de par sa fâcheuse « imagination », Edith est tiraillée entre deux prétendants : son ami d’enfance, le docteur Alan McMichael, dont la vivacité d’esprit stimule son intellect et un nouveau venu terriblement séduisant, Sir Thomas Sharpe, un outsider comme elle, qui l’accepte comme elle est et ravit son cœur.

Après la mort mystérieuse du père d’Edith, Thomas entraîne sa dulcinée dans sa luxueuse demeure familiale, en Angleterre. Allerdale Hall est un impressionnant manoir gothique, juché sur une carrière souterraine dont l’argile rouge sang suinte à travers la neige et entache les flancs de la montagne, lui valant le nom de « Crimson Peak ». Mais Thomas et Edith ne sont pas seuls. Allerdale Hall abrite également la sœur de Thomas, l’envoûtante et mystérieuse Lucille dont l’affection pour Edith cache d’autres desseins. Alors qu’Edith s’installe dans sa nouvelle existence, Crimson Peak s’anime pour elle de visions cauchemardesques et fantomatiques. Mais le véritable monstre de Crimson Peak est fait de chair et de sang…

Après son très mauvais blockbuster Pacific Rim, le maître de l’étrange revient avec cet envoûtant film de fantômes aux allures de period drama.

Crimson Peak est remarquable et brillant malgré un scénario parfois un peu bancal. Certains l’ont trouvé hautain et plus attaché à l’esthétique qu’au reste, mais le réalisateur ne fait pas semblant et montre exactement ce que lui a envie de voir: un film en costume à la fois étrange et romantique. Les nombreuses métaphores partent d’ailleurs dans son sens et les thèmes sous-jacents sont très clairs: Del Toro propose un period drama gothique; un mélange entre du Dickens et du Radcliffe. C’est voulu, justifié et clairement assumé! D’ailleurs, le début du film très austénien contraste avec la suite beaucoup plus sombre et malsaine. Mais le réalisateur nous le fait clairement savoir dans la scène ou Edith est comparée à Jane Austen par une bourgeoise et ses filles (petit côté Cendrillon soi-disant passant…). La jeune fille répond alors qu’elle préfère Mary Shelley. Et c’est exactement ce que fait Del Toro: il passe de Jane Austen à Mary Shelley!

Si Edith est une héroïne clairement romantique, l’ambiance du film et l’intrigue en seconde partie ne le sont clairement pas. De plus, on nous montre que les monstres ne sont pas forcément les fantômes; un sujet qui tient apparemment à coeur au réalisateur puisqu’il disait la même chose dans L’Échine du Diable.

Si l’on peut ne pas être séduit par la performance de Mia Wasikowska, parfois un peu trop niaise et ne représentant pas bien le caractère d’Edith, on ne pourra pas en dire de même pour l’excellent Tom Hiddleston en amoureux torturé sous l’emprise de sa machiavélique sœur. Dandy intelligent, passionné et quelque peu enfantin, on a beaucoup de mal à le détester lorsqu’on apprend sa vraie nature (outre le fait que ce soit juste… Tom Hiddleston!).

Mais c’est définitivement Jessica Chastain qui m’a surprise et fascinée. Perverse, violente et passionnée, il est finalement difficile de ne pas s’attacher à elle, notamment dans l’une des scènes finales assez désagréable qui nous rappelle que l’amour fraternel est parfois plus fort que tous les autres.

Le jeu brillant et captivant de ces deux acteurs nous fait oublier leur relation malsaine et leurs actions ignobles. Les monstres deviennent de fascinantes créatures…

Del Toro joue brillamment avec les codes de l’horreur pour mieux les détourner et réussit à nous faire avoir quelques frissons. Mais si la première apparition de fantômes est angoissante, c’est surtout les actions des personnages qui nous glacent parfois le sang (la scène de la douche par exemple est d’une agressivité impressionnante!). Contrairement aux codes habituels (mais bien ancré dans la mythologie de Del Toro), les fantômes ne sont pas là pour nuire. Mais leur physique disgracieux leur empêche d’arriver à leur fin. Leur but est à chaque fois d’ouvrir les yeux au héros.

Bien sûr visuellement, il n’y a rien à redire. Tout est léché, travaillé, stylisé jusqu’au magnifique générique de fin, hommage touchant à la littérature. Le film est une ode au romantisme noir, au fantastique étrange du 19ème siècle. Oui il y a du Jane Austen et du Mary Shelley, mais aussi très nettement du Friedrich ou encore Johann Heinrich Füssli dans la direction de la photographie.

C’est parce que le film met en avant autant de références avec brio; c’est aussi parce qu’on sent derrière un réalisateur passionné par le genre et impliqué que Crimson Peak fascine autant grâce à un esthétisme magique à la fois horrifique, mais pas si éloigné du conte. Comme dans Barbe Bleue ou La Belle et la Bête, la maison; manoir gothique magistral d’une beauté vénéneuse, est au coeur du cauchemar que va vivre l’héroïne. C’est d’ailleurs SUR la maison que la met en garde la mère d’Edith et non sur ses habitants. Le lieu canalise toutes les peurs, frustrations, violences et perversité humaines. Ce n’est donc pas un hasard si Del Toro choisit l’argile rouge comme fondation de cette demeure.

La musique envoûtante de Fernando Velázquez vient souligner toute la classe du film.

CONCLUSION

Crimson Peak n’est pas le meilleur Del Toro (il faudrait pour cela oublier le brillantisme Labyrinthe de Pan et l’émouvant L’Échine du Diable), mais il est l’un de ses plus aboutis. Dans une production actuelle manquant plutôt de saveur, la nouvelle oeuvre du réalisateur est un éclatant rappel de toute la palette du fantastique et de l’étrange. Le film a l’intelligence de vouloir rediriger ses spectateurs vers des classiques de la littérature ou de la peinture, vers une époque fastueuse pour un genre méritant toutes ses lettres de noblesse: le gothique.