Dernier chapitre de notre compte rendu du Festival 2021, édition spéciale en ligne. Cliquez ici pour accéder aux trois parties précédentes.

MOSQUITO STATE (Pologne/États-Unis) de Filip Jan Rymsza — en compétition

Un pion-moustique sur une case de Monopoly. L’image est originale et cependant moyennement surprenante venant de la Pologne, même si le film est une coproduction avec les USA : le monde polonais de l’affiche de film est depuis longtemps un territoire d’expérimentation et de recherche artistique, loin des visuels standardisés, plats, fonctionnels qui constituent l’essentiel de ce qu’on peut voir sur les devantures de nos cinémas. OK, et le film ? C’est à Manhattan que ça se passe, principalement dans l’appartement grand luxe d’un prodige de la finance. Frappé d’autisme sévère mais aussi génie de la mathématique, Richard Boca est un atout précieux du cabinet d’affaires qui l’emploie. Nous sommes en 2007, et New York est la proie d’une bonne petite invasion de moustiques. Richard voit dans leurs nuées, dans la façon exponentielle qu’ils ont de se reproduire des similitudes avec les modèles mathématiques qu’il a perpétuellement en tête. Une révélation qui le conduit inéluctablement à un effondrement psychologique…

Il suffit de la présence d’un moustique dans la chambre pour que nos nuits d’été tournent au duel et nous condamnent à une insomnie énervée, alors imaginez un instant un grand, un très grand logement donnant sur Central Park totalement envahi par ces bestioles zonzonnantes. Tout à la transposition vivante de ses obsessions chiffrées, le héros s’emploie à favoriser le plus possible la multiplication des diptères dans son appartement. Les insectes prolifèrent, naturellement le picorent et le changent bientôt en un jumeau new-yorkais de Quasimodo (ou en cousin d’un héros de film de David Cronenberg). Une progression dramatique inconfortable, et surtout une pesanteur allégorique à la longue rebutante : assimilés sur le plan métaphorique aux données boursières, les moustiques qui défigurent le héros symbolisent la nature intrinsèquement néfaste des marchés financiers. Et la culture indoor des maringouins finit par donner l’idée au gars Richard d’injecter de nouveaux algorithmes dans les bécanes de son entreprise (d’où la crise financière de 2007-2008, eh oui !). Résulte de tout ça un métrage-pensum au ton et à l’esthétique arides (il faut supporter les longues scènes dans les espaces presque vides d’un intérieur design impersonnel, censé refléter la vacuité des traders fortunés), enjolivé tout de même par la présence lumineuse, quoique très ponctuelle (son rôle est un peu sacrifié), de la comédienne anglo-espagnole Charlotte Vega, que nous verrons bientôt dans un remake de Détour mortel en compagnie de Matthew Modine.

THE CURSED LESSON (Corée du Sud) de Jai-hong Juhn et Ji-han Kim — en compétition

Passé 30 ans, vous êtes cuite. C’est le message que reçoit cinq sur cinq Hyo-jeong, mannequin évincé sans ménagement d’une campagne de pub parce que le client ne trouve pas son visage « assez frais ». Que faire ? Une rencontre fortuite avec une ancienne camarade de classe la met sur la voie d’un institut détenteur d’une technique révolutionnaire de yoga, source de jouvence.

La dictature du jeunisme et du paraître est au centre de cette intrigue qui se déroule en grande partie entre les murs du mystérieux institut. En compagnie de quatre autres femmes, l’héroïne expérimente le yoga « kundalinî », d’origine indienne, qui existe bel et bien et fait même l’objet d’articles élogieux dans la presse mode (en France, le magazine Elle en a parlé, Madame Figaro et Marie-Claire aussi). Les critiques méfiantes ne manquent pas non plus, beaucoup voyant dans cette pratique un mouvement quasi-religieux et sectaire. The Cursed Lesson apporte sa pierre à la controverse en choisissant clairement son camp : la maîtresse yogi propriétaire de l’institut manipule ses clientes, aidées par un auxiliaire masculin qui a tout de l’homme de main et, tel un serpent (un motif récurrent du film), subjugue les clientes pour s’envoyer en l’air sur le tatami. Au cœur du film on tombe ainsi sur une longue scène érotique, à mi-chemin entre l’acte sexuel et la chorégraphie acrobatique, qu’on trouvera soit audacieuse soit ridicule. En tout cas, malgré les visions qui se mettent à assaillir les héroïnes, la tension est un peu lâche et on n’a pas très peur, d’autant que la narration bascule régulièrement sur le point de vue de la police en suivant, à l’extérieur, l’enquête d’un inspecteur. Le flic est joué par un comédien si mauvais (ou si mal dirigé) qu’il suffirait presque à lui seul à discréditer toutes les forces de l’ordre séoulites.

IMPETIGORE (Indonésie) de Joko Anwar — hors compétition

Parmi les festivaliers habituels de Gérardmer, j’en connais qui ne ciblent pas forcément les films en compétition quand ils élaborent leur planning de projections. Et ils n’ont pas tort puisque dans les sections parallèles se cachent toujours d’excellentes surprises. C’était le cas cette année de Come True mais aussi de cet Impetigore venu d’Indonésie. Deux amies qui peinent à faire décoller leur petite boutique de fringues et à joindre les deux bouts quittent leur grande ville pour se rendre dans un village archi-reculé sur l’île de Java. C’est là qu’une des deux jeunes femmes, orpheline, serait née, et c’est là aussi que l’attendrait son héritage, une maison de famille qu’elle pourrait vendre et toucher ainsi quelques liquidités…

Le fantastique folklorique n’a parfois rien de folichon pour un observateur étranger, qui ne maîtriserait pas les codes culturels du patrimoine local. Il n’en est rien avec Impetigore, dont l’intrigue, bien qu’enracinée dans les coutumes et pratiques d’Indonésie (il est surtout question des théâtres d’ombres, là-bas très appréciés), reste tout à fait à la portée du festivalier européen. Les deux nénettes, auxquelles on s’attache très vite (pour le coup, elles forment un duo Loyal-Auguste tout ce qu’il y a de plus reconnaissable aux yeux d’un Occidental), n’ont aucune idée de l’endroit où elles ont mis les pieds : l’orpheline est bien issue de ce village, mais pour des raisons terribles qu’on va découvrir, sa famille a laissé un souvenir très amer aux habitants du cru. Au départ latente, l’hostilité de la population se fait de plus en plus menaçante, et l’atmosphère fantastique de plus en plus effrayante. La richesse du script se déploie dans la seconde moitié du récit, avec un fin mot de l’histoire qui n’intervient qu’après l’ouverture de nombreux tiroirs. Un excellent film, captivant et qui n’oublie pas non plus de plaire aux amateurs de gore et d’armes blanches maniées lestement.

SWEET RIVER (Australie) de Justin McMillan — en compétition

On enchaîne avec Sweet River, qui n’est pas sans rapport avec Impetigore puisque, ici aussi, un personnage en provenance d’une grande métropole s’en va enquêter dans une bourgade rurale. Le film nous raconte l’investigation d’Hannah, mère éplorée d’un garçonnet disparu, selon toute vraisemblance victime d’un tueur d’enfants, originaire du patelin. Le corps du gamin n’a jamais été retrouvé. Serait-il enterré quelque part alentour, près de la rivière ? du champ de maïs peut-être ?

Lisa Kay, comédienne britannique, campe un personnage touchant et original pour un film de ce genre (éprouvée par sa perte, la quadragénaire fume beaucoup — pas que du tabac — et se réfugie aussi dans la bouteille). La population locale ne voit pas son errance et ses questions d’un très bon œil, étant donné que son deuil éveille le souvenir encore vivace d’un autre drame qui a marqué la petite ville, la mort de nombreux enfants dans un accident d’autocar. Le scénario se veut ambitieux en s’employant à tisser les liens qui permettront de réunir, in fine, les deux tragédies et les deux arcs narratifs. On n’est convaincu qu’à moitié, la construction dramatique s’avérant laborieuse. Riche de fantômes mais aussi de silences et de temps morts, Sweet River est typiquement le genre de film devant lequel le festivalier géromois pique du nez, surtout s’il le découvre lors d’une projection tardive, en sixième ou septième séance de la journée.

POSSESSOR (Canada) de Brandon Cronenberg — en compétition

Le meilleur pour la fin ? C’est ce qui viendrait à l’idée des membres du Jury des Longs Métrages en lisant ce compte rendu puisqu’ils ont choisi de décerner le Grand Prix 2021 à Possessor de Brandon Cronenberg, qui, comme son nom l’indique, est le fils de David. Brandon marche ainsi sur les traces de papa (Grand Prix en 1989, période Avoriaz, pour Dead Ringers/Faux Semblants) avec cette histoire de science-fiction dans laquelle il est techniquement possible de prendre possession d’une personne pour lui faire accomplir ce qu’on veut. La manœuvre est complexe : il faut s’emparer du sujet, réaliser un implant cérébral puis contrôler l’hôte à sa guise comme par télépathie. Et ça se termine mal pour la victime puisque l’esprit qui l’a phagocytée doit la « suicider » pour pouvoir regagner son corps d’origine.

Un « process » particulièrement tordu, mais on ne pouvait pas espérer moins venant d’un Cronenberg, père ou fils. Dans l’histoire, cette technologie est la propriété d’une organisation criminelle qui, pour le compte de mystérieux clients, commet des assassinats sous ces identités d’emprunt. La meilleure tueuse (c’est la patronne qui le dit) se nomme Tasya Vos (Andrea Risborough). Pour le coup, une personnalité originale puisqu’en plus d’être un assassin sans état d’âme, elle est aussi mère de famille (son fils Ira est un garçon de 9-10 ans). Pas évident de conserver un équilibre mental durable entre ces deux pôles diamétralement opposés, et c’est justement tout le propos du film car à trop tirer sur la corde (les « possessions » sont des expériences traumatisantes), les choses pourraient très mal tourner pour Tasya, qui va se retrouver prisonnière d’un corps d’emprunt, qui plus est masculin.

Sans aucun humour, toujours au premier degré, Possessor est un thriller de SF plutôt réussi, effrayant, souvent sanglant (Tasya ne se contente pas de verser trois gouttes d’arsenic dans un verre, elle y va franchement, au couteau, avec un flingue, avec un tisonnier). Et la plus grande terreur convoquée par le film est existentielle : comment survivre et garder sa raison en restant captif d’un corps qui n’est pas le sien ? Un bonus notable : la tête mise à prix dans le dernier contrat de Tasya n’est autre que celle de Sean Bean, dans la peau d’un industriel richissime et influent. Un second rôle seulement, mais bien suffisant pour que l’acteur anglais écrase de sa présence chacune des quelques scènes où il apparaît. Apparition également d’une autre célébrité, Jennifer Jason Leigh, aux tics de jeu en revanche assez crispants (elle interprète la dénommée Girder, à la tête de l’agence mafieuse).

Remerciements de toute l’équipe de Khimaira à Anthony Humbertclaude et Sophie Gaulier (SG Organisation — Nancy), au Public Système Cinéma (Paris), à l’association du Festival à Gérardmer. Et une pensée amicale à tous les bénévoles, à pied d’œuvre dans chaque salle mais qui cette année n’ont pas eu d’autre choix que de rester à la maison. Rendez-vous sans faute l’an prochain, en chair et en os, avec toute la communauté des festivaliers.

Retrouvez nos comptes rendus des précédentes éditions du festival…

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