Troisième et avant-dernier chapitre de notre compte rendu du Festival de Gérardmer 2021, édition spéciale en ligne. Cliquez ici pour accéder aux deux premières parties.

Le festival 2021 était virtuel, mais les organisateurs ont quand même fait le maximum pour que les spectateurs, notamment les détenteurs des précieux « pass festival » (quelques centaines seulement mis en vente, et tous achetés en moins d’une heure !), se sentent non pas comme à la maison mais comme à Gérardmer : chaque séance débutait par une présentation rigolote de David Rault, alias Fido, le speaker du festival, et était suivie du générique d’avant-film, inchangé depuis les débuts, à ceci près que l’audio incluait les onomatopées joyeuses du public et le célébrissime rire de sorcière poussé depuis moult années dans les gradins par le prénommé Cyril, festivalier de la première heure ou presque.

Et pour que l’illusion soit parfaite, la programmation a aussi proposé sa traditionnelle « Nuit décalée », série de films trash et marrants, hors compétition, projetés le samedi soir. Une formule reproduite dans les règles de l’art : pas moyen d’accéder avant le 30 janvier, 22 h, aux trois titres sélectionnés…

CYST (États-Unis) de Tyler Russel — nuit décalée

Matez-moi un peu cette affiche… Un visuel qui fait de l’œil à une catégorie particulière de spécimens, tous les joyeux drilles qui ont pour références communes les films de Frank Henenlotter, ceux de Stuart Gordon, les premières œuvres de Peter Jackson ou les productions Troma de Lloyd Kaufman. L’emballage n’est pas trompeur : dans un cabinet médical de l’Amérique des années 1960, un médecin spécialiste de l’ablation des kystes invente une machine à laser révolutionnaire permettant, en principe, de désintégrer en un claquement de doigts n’importe quel bubon gorgé de fluide dégueu. Le praticien ambitionne de faire breveter l’appareil, mais le bidule n’est pas au point et donne naissance à un kyste-monstre…

La vision ne prend pas plus d’1h10, et c’est sans doute le maximum de métrage qu’on pouvait tirer d’un tel pitch. L’unité de temps, de lieu et d’action donne une petite histoire très linéaire, heureusement réhaussée par le casting hystérique (surtout le médecin-vedette, à cran pour faire valoir les mérites de son invention) et des effets spéciaux in situ joliment torchés (pas de CGI qui tiennent, on fait ça à l’ancienne !). Festivaliers online, si la perspective vous enchantait de pouvoir faire des arrêts sur image sur des furoncles puants, des phlegmons sanieux et autres protubérances gluantes, de même que voir une infirmière d’âge mûr prendre plusieurs giclées de pus en plein visage, c’est bien Cyst et nul autre film qu’il fallait voir.

SLAXX (Canada) d’Elza Kephart — nuit décalée

On peut imaginer un métrage délirant, fun et gore tout en livrant un précieux message. Tous ceux qui en douteraient changent d’avis devant Slaxx, concentré habile d’horreur sanglante et de satire sociale. Le personnel d’un magasin de fringues hype fait des heures sup nocturnes pour mettre en place la toute nouvelle collection de jeans, un modèle de futal révolutionnaire qui s’adapte à toutes les morphologies sans aucune retouche nécessaire. Mais attention : récolté par de petites mains asiatiques qui normalement devraient passer leurs journées sur les bancs de l’école plutôt que dans les champs, le coton dont sont tissés les jeans est hanté. D’où des pantalons carnassiers qui, dans un esprit de revanche bien légitime, vont décimer le staff de la boutique.

Le scénario épingle une sacrée série de travers, d’hypocrisies et de ridicules de notre époque : les PDG-gourous adulés par leurs employés béats, la bassesse des petits chefs arrivistes prêts à tous les arrangements pour se faire bien voir, le cynisme de l’économie capitaliste qui exploite des contingents d’esclaves à l’autre bout du monde pour proposer à la bonne conscience des clients des produits soi-disant bio et « équitables »… Tout un système corrompu jusqu’à la moëlle et vanté par les vidéos YouTube d’« influenceurs » narcissiques s’adressant à des millions d’acheteurs compulsifs à la merci des marques. On comprend que certains cultivent le fantasme de lâcher les fauves au milieu de ce joli monde. C’est ce que fait Elza Kephart, réalisatrice montréalaise qui, si elle n’accouche pas pour autant d’un chef-d’œuvre (le rythme de Slaxx est parfois un peu mou, tous les gags ne sont pas à hurler de rire), fait tout de même œuvre de salubrité publique. Et l’idée incroyable de filmer des jeans qui mangent les gens est drôlement… culottée (j’ai hésité de longues secondes avant de taper ça, mais tant pis, c’est fait).

PSYCHO GOREMAN (Canada) de Steven Kostanski — nuit décalée

Le festival ne décerne pas de prix d’interprétation (il le fit autrefois mais plus maintenant), pourtant il y aurait eu plusieurs candidates cette année à un « award » de la meilleure actrice : Suliane Brahim dans La Nuée, Julia Sarah Stone dans Come True, Najarra Townsend dans The Stylist et… Nita-Josée Hannah, au centre de l’affiche ci-dessus, jeune artiste de 12 ans qui sait danser, chanter (c’est ce que dit sa bio) et donc jouer la comédie. Certes, en visionnant Psycho Goreman, le pool d’enseignants du Cours Florent aurait peut-être deux ou trois choses à redire sur sa prestation, mais pour un public comme celui de Gérardmer, avide de tous les excès, le cabotinage en roue libre de la demoiselle est un spectacle hautement récréatif. Nita-Josée tient le rôle de Mimi, fillette hyperactive, imaginative, qui adore rudoyer son frère et à qui le destin offre la possibilité d’avoir le contrôle absolu sur un être surpuissant et maléfique issu d’une autre galaxie, Psycho Goreman (c’est le nom qu’elle lui trouve — le colosse prétentieux ne s’exprime que par hyperboles ronflantes mais face à Mimi, il n’a pas son mot à dire). Attention : d’autres gens surpuissants venant de la même galaxie en ont après Psycho Goreman, alors ça barder sur la planète Terre.

Ce show nonsensique peut passer pour une sorte d’hybridation entre la comédie de SF indé américaine et le tokusatsu, genre cinématographique et télévisuel typiquement japonais dans lequel des héros en costumes futuristes affrontent des légions de monstres caoutchouteux. Et inutile d’en décrire plus car la bande annonce, visible en bas de page, fait idéalement entrevoir ce qu’est Psycho Goreman : une attraction drôlissime qui carbure à une idée de gag par seconde et ne fait regretter qu’une chose, ne pas avoir découvert un tel spectacle au cœur du public toujours réactif et chauffé à blanc de l’Espace LAC, le samedi soir à Gérardmer. Pour en revenir à Mimi, précisons que son petit personnage s’inscrit dans un portrait de famille plutôt juste et touchant (il y a son frère mais aussi leurs parents). L’anarchie ambiante du film n’empêche donc pas un minimum de finesse psychologique, et c’est tant mieux sinon le maelström bruyant et coloré conçu par Steven Kostanski aurait sans doute été un peu vain.

THE MORTUARY COLLECTION (États-Unis) de Ryan Spindell — hors compétition

De mémoire de festivalier — mais je me trompe peut-être — il n’y avait pas eu de film à sketchs à Gérardmer depuis V/H/S/2 en 2014. Une absence comblée cette année avec The Mortuary Collection, riche d’une affiche superbe et de la présence exquise de Clancy Brown en maître de cérémonie. Brown joue un vieil entrepreneur de pompes funèbres expliquant les ficelles du métier à une jeune stagiaire. Les ficelles, mais pas que : arrivé non loin du terme d’une longue carrière dans sa belle et gothique maison mortuaire, Mr Montgomery Dark a plus d’une histoire effrayante à raconter. Il gratifie sa visiteuse de piquantes anecdotes macabres et il nous en fait du coup aussi profiter…

En fait, le réalisateur Ryan Spindell a tourné un court métrage de 22 minutes intitulé The Babysitter Murders, d’inspiration très eighties. C’était en 2015, et le film a engrangé une bonne dizaine de prix, dont plusieurs « best film award », dans les divers festivals auxquels il a participé. Désireux de prolonger la vie du film, Spindell a eu l’idée de cette collection d’histoires courtes rassemblées en un long métrage et se concluant par… The Babysitter Murders. Plein d’action et de suspense, et ménageant une fin à chute, le film est sans aucun doute le meilleur du lot, mais les autres histoires ne déméritent pas, toutes délicieusement trempées d’ironie noire. La direction artistique et la photo sont magnifiques et, pour la petite histoire, sachez que la vieille demeure qui sert au film de « funeral home » est un musée, le « Captain George Flavel House Museum », autrefois investi par Richard Donner quand il y tourna quelques scènes des Goonies, en 1985.

SCHLAF (Allemagne) de Michael Venus — en compétition

Concluons cette troisième partie de compte rendu avec un film en compétition, Schlaf — « sommeil » — de Michael Venus, dont c’est le premier long métrage. Comme l’indique le logo rouge sur l’affiche, Schlaf a eu les honneurs de la 70ème Berlinale, en 2020. En examinant le pedigree de l’œuvre, on se rend compte que le film a connu déjà plusieurs sélections en festival, surtout des événements « généralistes » (comme la Berlinale) et pas vraiment de festoches ciblés fantastiques. Loin de la capitale allemande, Schlaf s’enfonce dans des contrées semi-rurales, dans une petite ville, Stainbach, une bourgade où une hôtesse de l’air se rend secrètement. La femme est tourmentée par un cauchemar récurrent dans lequel lui apparaît l’hôtel de Stainbach, un grand établissement conçu pour accueillir de larges groupes mais presque vide — c’est la morte saison — au moment où se déroule notre histoire. Sur place, l’hôtesse de l’air a un malaise grave, elle est admise en état de léthargie à l’hôpital du coin. Sa fille se rend sur place pour comprendre ce qui est arrivé à sa mère, et trouver pourquoi elle s’est rendue là à son insu.

Les films d’angoisse dans les hôtels ont un modèle presque indépassable, The Shining. Mais les spectres à l’œuvre dans Schlaf sont très différents de ceux de Kubrick : on a plutôt ici affaire aux fantômes de l’Allemagne du Troisième Reich, avec une pensée nazie rampante et fermement enracinée dans les territoires reculés du pays. Le film est lent, sérieux, il se veut complexe, comme si un montage abscons et des flashbacks opaques devaient garantir la bonne tenue intellectuelle de l’œuvre. Il y a une ambiance, c’est sûr, très étrange, onirique (il est beaucoup question des rêves), avec une menace, floue mais bien présente, qui plane sur l’héroïne. Il y a quelques scènes dont on se souvient longtemps (notamment les deux scènes mettant à contribution des saucisses — c’est bête mais c’est comme ça !). Cependant pas moyen d’échapper à un sentiment d’ennui de plus en plus pesant. Prix spécial du Jury, quand même, ex-æquo avec Teddy.

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