La langue façonne la pensée, et si la grammaire française paraît induire, ainsi que certains le formulent encore, que « le masculin l’emporte sur le féminin », quelle empreinte pourrait-elle me graver dans la cervelle ? La question est quelque peu oiseuse (les genres grammaticaux n’a rien en commun avec le sexe des individus), pourtant elle sous-tend l’implacable La Langue française, titre dans lequel Circé Deslandes, sur un ton radical qui invite moins au débat qu’à la prise de conscience, résume en trois minutes l’historique machiste des normes de notre idiome national. La chanteuse en profite pour énumérer les noms des « Immortelles » qui ont occupé des sièges à l’Académie française, ce qui ne lui prend pas longtemps puisque, rappelle-t-elle, neuf femmes seulement, en 400 ans, ont eu l’honneur de porter l’habit vert et l’épée, au demeurant un symbole archaïque, phallique et guerrier.

Unique en son genre, mariant la poésie charnelle et le combat d’idées, Circé Deslandes s’invite de nouveau sur nos platines à la faveur de cet Objet a, EP de cinq titres au cœur duquel figure le réquisitoire en musique précité. « Académique », le français s’offre pourtant à toutes les expérimentations, comme le prouve, ailleurs dans le tracklisting, le surprenant Prendre corps, long poème d’héritage surréaliste signé Ghérasim Luca, homme de lettres d’origine roumaine qui vécut des décennies à Paris avant de se jeter dans la Seine du haut du Pont des Arts. Véritable provocation pour tout puriste grammairien, le texte, mis en musique façon pop par Circé et son complice Mathieu Calmelet, déverse une abondance de mots qui, tels des transgenres littéraires, s’affranchissent avec autorité de leur nature grammaticale. Des jeux de langue intellectuels à n’en plus finir (auxquels s’adonne aussi la plume de Circé dans le quatrième titre, Variations sur Marilou), et qui trouvent leurs équivalents physiques dans iFantasme et Messe basse, bijoux de poésie pornographique où la chanteuse et auteure s’illustre dans son art bluffant de décrire, avec les paroles idoines, les actes sexuels les plus salaces mais sans jamais se départir de son élégance naturelle. Le tour de force, peu commun, n’ouvrira pas à Circé la sorcière les portes des médias aux heures de grande écoute, il conviendra en revanche à merveille aux écoutes clandestines, iPod dans l’oreille, aussi bien qu’aux aventures musicales nocturnes.

Objet a est disponible depuis décembre en écoute et en téléchargement sur Bandcamp. Cliquez sur le visuel érotique de l’album pour vous transporter sur le site officiel de Circé Deslandes.