Le titre semble tracer une voie insolite entre Ray Bradbury et les précis Dalloz, une impression justifiée car c’est exactement de cela qu’il s’agit ! Dans la courte préface, Hervé Croze (agrégé de droit et avocat honoraire) nous prend par la main pour nous expliquer que ce que l’on s’apprête à lire est un ouvrage unique en soi puisqu’il s’agit — s’agirait — de la réédition du carnet de voyage du dénommé Philibert Ledoux, sexagénaire et professeur expert en droit civil que ses pas conduisirent dans les années septante, alors que Giscard occupait l’Élysée, jusque sur Mars, où il entreprit d’étudier les principes du droit régissant les rapports entre individus sur la planète rouge. Car en effet, à cette époque obscure, où l’on se servait encore de téléphones à cadran et où la télévision ne connaissait que les trois chaînes de l’ORTF, à cette époque, donc, on a appris l’existence de la civilisation martienne, composée d’individus, tous verts, naturellement, et se déplaçant en soucoupe volante. Était-il possible que le génie juridique français (tel que le vante Philibert Ledoux, admirateur et zélateur infatigable du Code civil) pût avoir un équivalent à des millions et des millions de kilomètres de nos tribunaux et cours d’instance ? Les quelques 350 pages qui composent son journal de voyage sont là pour nous l’expliquer.

Il y a un peu de Candide, de Voltaire, dans ce récit des découvertes du professeur Ledoux, légiste expert, comme on l’a dit plus haut, et néanmoins chercheur enthousiaste à même de poser un regard naïf, digne d’un néophyte, sur les nombreuses curiosités que recèlent les principes du droit martien. L’ouvrage ne manque pas d’imagination en accumulant des cocasseries qui font volontiers sourire, voire rigoler franchement, dans la mesure où l’on est sensible à l’esprit humoristique un rien désuet qui en anime les chapitres, avec, entre autres, beaucoup de références à Hergé et des trouvailles surréalistes dignes d’Eugène Ionesco. Il fallait quand même bien cela pour que l’on accroche au récit, pour peu qu’on ne soit pas, au contraire de l’auteur, un expert en droit : la finalité de cette Chronique… est tout de même sérieuse, abordant sous l’angle de la prétendue étude comparée une multitude de problèmes de droit tout ce qu’il y a de plus sérieux et concrets (nonobstant une collection plutôt agaçante de coquilles orthographiques — on peut attaquer l’auteur sur ce point !). Ce qui nous vaut un drôle de mélange, entre science-fiction uchronique, comédie (de situation et de caractères) et propos de conférencier à la teneur beaucoup plus aride. Publiée par un éditeur spécialisé dans les parutions juridiques, cette Chronique de droit martien du professeur Ledoux (le patronyme serait-il hérité des canulars de Jean-Yves Lafesse ?) s’adresse en priorité à des lecteurs initiés aux subtilités du droit, de sa logique et de ses procédures. Par conséquent aux étudiants aussi bien qu’aux professionnels du domaine, dont la composition en divers sous-groupes — privatistes, publicistes, pénalistes, etc. — apparaît aux yeux du béotien comme autant de castes, de familles, de tribus (des termes qui, sachons-le, ne se valent pas sur le plan juridique) dont on se dit qu’on les côtoie au quotidien, dans la rue, les restaurants, aux arrêts de bus… sans même s’en apercevoir. Bienvenue sur la planète des juristes !

En librairie depuis le 24 mai 2022.