Le niveau d’insécurité dans les rues de Johannesburg vaut bien, aujourd’hui, celui de la ville de Detroit dépeinte dans RoboCop de Paul Verhoeven. Le Sud-Africain Neill Blomkamp (District 9, Elysium), lui-même natif de « Jo’Burg », a eu une idée : faire de sa ville le cadre d’une histoire d’anticipation dans laquelle une force de police robotisée, les « Scouts », vient s’adjoindre aux efforts des flics humains pour juguler le crime.

Quiconque connaissant bien le cinéma de S.F. de ces trente dernières années n’a aucun mal à recenser les clins d’œil à RoboCop, donc (un robot mastoc équipé à l’arme lourde est une citation sans ambiguïté de l’ED-209 qui cherchait des crosses à Murphy), mais aussi à Appleseed et, surtout, à Short Circuit (1986) de John Badham, dans lequel « Numéro 5 », robot à grands yeux monté sur chenilles, frappé par la foudre, développe une intelligence humaine. Dans le film qui nous intéresse ici, « Chappie » est le nom d’un androïde-flic (interprété en motion capture par Sharlto Copley, à la gestuelle très expressive) qui échappe à sa condition de boîte de conserve avec fusil d’assaut quand son concepteur (Dev Patel) installe dans son système un logiciel expérimental d’intelligence artificielle.

RoboCop est une satire S.F. ultra-violente, Short Circuit une comédie fantastique pleine de bons sentiments. Chappie se situe quelque part entre les deux, oscillant entre le mélo à tonalités comiques (une fois éveillé à la conscience, le robot se comporte comme un enfant, il va lui arriver moult misères) et le récit d’action, avec des séquences de baston/fusillade efficaces rythmées par une compo au beat pêchu signée Hans Zimmer. Côté musique, la bande-son comporte également des créations du groupe de rap-electro Die Antwoord, originaire du Cap et par ailleurs… véritable vedette du film : le duo de musiciens exubérants (et amis de Blomkamp) apparait également en tête d’affiche de Chappie en jouant un couple de gangsters qui recueille le robot. Les personnages sont baptisés des propres noms de scène du duo, Ninja et Yo-Landi, lesquels apparaissent vêtus comme en concert ou dans un de leurs clips. De là à dire que le métrage entier n’est qu’un outil promotionnel déguisé pour les deux artistes sud-af, il n’y a qu’un pas qu’on est tenté de franchir. Cela dit, Ninja et Yo-Landi ont un sacré abattage qui colle bien à l’univers bruyant du film, même s’ils finissent par le phagocyter carrément.

En prenant le robot en mains dans leur squat, les deux allumés créent une sorte de famille dysfonctionnelle avec « Maman », qui fait la lecture du Petit Mouton Noir à Chappie, et « Papa », qui lui enseigne, entre autres, comment tirer des bagnoles de luxe. Cet aspect de l’histoire est de loin le plus intéressant et le plus original. Le reste s’avère très terre à terre, avec des protagonistes unidimensionnels des plus barbants (Dev Patel en petit génie idéaliste, Hugh Jackman en méchant militaire arriviste et Sigourney Weaver en femme d’affaires à poigne sont des clichés sur pattes). Ajoutons qu’avec son personnage principal de gentil robot aux prises avec les dures réalités du monde, Chappie ne quitte jamais les clous du divertissement mainstream grand public, confortable et inoffensif. En outre, le film n’engage aucun débat sur la légitimité de l’intelligence artificielle (l’argument de l’I.A. permet juste de créer un héros candide cherchant ses repères entre le bien et le mal), et d’un point de vue scientifique, le script n’est pas très rigoureux, avec des pirouettes technologiques qui ne convainquent personne (le deus ex machina du dernier quart d’heure fait doucement rigoler).

Ces à peu près scénaristiques, toutefois, ne vont pas empêcher Neill Blomkamp, dont la carrière semble vouée à la science-fiction, d’être de retour prochainement sous les feux des projecteurs en tournant cette année le cinquième volet de la saga Alien (qui verra le retour d’Ellen Ripley, pas loin de vingt ans après Alien: Resurrection, tourné par Jean-Pierre Jeunet). Reconnaissons-le, on est très curieux de voir ce que cela va donner. Quant à Ninja et Yo-Landi, forts d’une notoriété soudain élargie, ils vont bientôt entamer une tournée mondiale qui les mènera notamment, en France, en juillet, aux prochaines éditions du festival La Nuit de l’Erdre à Nort-sur-Erdre (44) et des Eurockéennes de Belfort (90). Des apparitions qui vont forcément attirer une foule de curieux…

Film sorti dans les salles françaises le 4 mars 2015.