Retour à Los Angeles 30 ans après la fin du voyage pour les inoubliables Pris et Roy Batty… L’agent du LAPD « KD6-3.7 » (Ryan Gosling) traque les réplicants en cavale de type « Nexus 8 », des modèles d’humanoïdes retirés de la circulation et qui, contrairement aux Nexus 6 du premier Blade Runner, n’ont pas une durée de vie limitée à deux ans. Lui-même homme artificiel (pour reprendre la terminologie de Bishop dans Aliens), « K » tombe incidemment sur la preuve d’un enfantement par une réplicante, un « miracle » non inscrit au programme du génie génétique. Pas question de laisser fuiter la nouvelle et d’accorder aux esclaves manufacturés l’espoir de procréer et, pourquoi pas, de s’affranchir du joug humain : mandaté par sa hiérarchie, K se lance dans la traque de l’enfant…

Alors que se profile pour l’été prochain Alita: Battle Angel (adaptation de Gumm avec Jennifer Connely et Christoph Waltz, écrit et produit par James Cameron, réalisé par Robert Rodriguez), Blade Runner 2049, en complément de ses qualités intrinsèques, exauce de façon inattendue le souhait de plus d’un amateur de japanimation : voir au cinéma l’équivalent live des grandes réussites de la planète manga. Non pas que le Canadien Denis Villeneuve adapte stricto sensu un titre nippon (ce n’est évidemment pas le cas), mais parce que ce prolongement tardif donné au classique Blade Runner (1982, inspiré de Philip K. Dick) transpose dans un cadre occidental l’esthétique, le rythme et la richesse de contenu des meilleurs films d’animation de la S.F. japonaise. Le tempo contemplatif éminemment asiatique (bien que Gosling et Villeneuve, en interview, citent volontiers Tarkovsky), les plans nombreux et géométriques sur les architectures urbaines, l’omniprésence de la haute technologie ainsi que quelques silhouettes féminines racées (entre autres l’apparition holographique géante d’une beauté nue aux cheveux bleus) frappent droit dans l’œil comme des réminiscences des univers dépeints dans Ghost in the Shell, Appleseed et bien d’autres.

Ces emprunts au style japonais sont-ils volontaires ou relèvent-ils de l’influence majeure qu’a désormais la S.F. nippone sur l’imaginaire futuriste ? On pencherait plutôt pour la seconde option car rien ne laisse penser, dans les propos de Denis Villeneuve relayés par la presse, que le film a été pensé comme une adéquation artistique entre orient et occident. D’un point de vue thématique, on retrouve également un sujet récurrent de l’animation japonaise, les préoccupations écologiques, exposé dès les premières secondes : un carton explicatif en préambule nous explique que les dérèglements climatiques ont causé l’effondrement des écosystèmes, un état des lieux illustré dans la scène d’ouverture par l’importance visuelle accordée à un grand arbre mort, vestige naturel isolé au milieu d’une étendue de poussière. Point de départ de l’intrigue, le pauvre squelette végétal, aussi solitaire et mélancolique que l’agent K, ne va pas lancer le héros dans une simple traque : la recherche du mystérieux et anonyme enfant réplicant se double d’une quête existentielle où K plongera à la recherche de lui-même, de ses origines et de sa nature véritable.

La profondeur visée par le scénario ne prive pas Blade Runner 2049 d’une narration simple, fluide, limpide. Pour qui n’est pas incommodé par la morosité du récit, l’œuvre de Denis Villeneuve propose une expérience de cinéma très agréable, dont la sophistication visuelle est la source d’un plaisir constamment renouvelé. Et si le métrage est long — 2h30, hors générique de fin —, on ne se lasse pas de la présence dans le cadre du visage poupin de Ryan Gosling et son curieux regard à la fois abattu et déterminé. Le physique et le jeu du comédien conviennent à merveille pour donner chair et émotions à son personnage d’androïde innocent, tueur de réplicants implacable, certes, mais qui rêve secrètement qu’il a eu une enfance et une mère. Le dernier tiers du métrage se raccroche brillamment au premier Blade Runner en faisant ressurgir deux silhouettes du film de 1982 : Harrison Ford, bien sûr, renoue avec le rôle de Rick Deckard, et Sean Young, alias Rachel, réapparaît telle qu’il y a 37 ans, recréée, « répliquée » à l’identique, non par la génétique mais par la magie technologique du cinéma. La mise en abyme est troublante au plus haut point et compte parmi les surprenantes richesses du film. Denis Villeneuve serait sur les rails pour mettre en scène une nouvelle adaptation de Dune de Frank Herbert (après la version diversement appréciée de David Lynch en 1985), et il n’est guère utile de préciser que pour l’amateur de S.F. cette perspective génère d’ores et déjà les conjectures les plus extravagantes et les espoirs les plus fous…

Film sorti dans les salles le 4 octobre 2017.