Quand une usine est sur le point de fermer dans une de ces vallées de non-droit des Vosges, ce sont des vies qui s’effondrent, des projets qui disparaissent, des lendemains qui déchantent. Mais il ne faut pas pour autant s’y fier. Si les ouvriers aiment leur usine, ils n’en sont pas pour autant dociles. À l’image de Martel, le délégué syndical, ou bien de Bruce, le bodybuilder. Eux, ce sont les petits arrangements qui mettent du sel dans leur vie. Quand ils tombent le bleu, ils deviennent videurs dans les boîtes des alentours, fournissant à l’occasion de la came aux clients. Et puis Martel n’hésite pas à taper dans la caisse du CE dont il est le secrétaire. Ils vivent plutôt bien, jusqu’au plan social, jusqu’au moment où les comptes du CE vont être épluchés.

Pour Martel, ça devient moins drôle. Il faut qu’il se renfloue. Alors nos deux acolytes se rapprochent de voyous locaux et se lancent dans le kidnapping. Et comme ce n’est pas leur spécialité, autant dire que ça donne lieu à un beau foirage. Alors en plus de leurs soucis financiers, c’est une vendetta qui s’organise autour d’eux. Martel va bien essayer de temporiser la fin de l’usine, avec l’aide de Rita, une inspectrice du travail, pour laquelle il a le béguin. Mais bien sûr, rien ne va se passer comme prévu et c’est une descente aux enfers qui se profile, pour tout le monde.

Nicolas Mathieu est vosgien, et forcément il parle avec une grande justesse des lieux et des hommes qui vivent dans le département. Il a vu les usines textiles disparaître en premier, puis les quelques ilots d’emploi se précariser et s’étioler à leur tour. Aux animaux la guerre, c’est l’histoire de ces territoires qui meurent doucement, en silence, quand les coûts d’une main-d’œuvre déjà bon marché et corvéable presque à volonté sont encore de trop pour des actionnaires en quête de profits.

Le titre de ce roman peut sembler étrange, mais il provient de cette fable de Jean de la Fontaine intitulée Les animaux malades de la peste. On y voit un mal frapper les animaux. On y assiste à l’apparition des inégalités de traitements entre ceux qui devraient pourtant être égaux. Ainsi le titre apparaît dans ces vers célèbres :
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés.
Cette fable comprend aussi en guise de conclusion les vers suivants :
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici.

Écrit avec une belle énergie, ce polar d’une grande noirceur décrit avant tout le déclassement. Il n’est pas sans rappeler à bien des égards Les dépossédés de l’auteur irlandais Robert McLiam Wilson qui décrivait la pauvreté qui sévissait sournoisement dans l’Angleterre ultralibérale de Margaret Tatcher.  Oui, le propos est surtout consacré à ces coins de France que les élites ignorent, que les industriels enterrent quand les profits ne sont plus au rendez-vous, qui n’intéressent les politiques que le temps d’une élection. Ce roman parle de ces gens qui n’existent que par leur travail. Ces gens qui ne se reconnaissent plus dans la société que leur présentent les médias et qu’il faut pourtant bien croire. C’est l’histoire de cette résignation d’un peuple qui vit avec ses petits arrangements, ses propres réussites, mais qui est condamné à disparaître à la fin, tout comme ses usines. Le polar est classique, mais le background est d’une grande justesse. Une belle claque de noirceur que France Télévision est actuellement en train d’adapter pour en faire un téléfilm.