L’Appel de Cthulhu est un jeu dont l’aventure francophone relève presque du paradoxe. Il fut en effet l’un des jeux les plus joués dans l’hexagone, rivalisant quasiment à part égal avec AD&D… Un succès qui dépasse de loin celui obtenu dans son propre pays, pourtant terre natale de Lovecraft dont il adapte les écrits. Les raisons de ce succès sont nombreuses, à commencer, justement, par une bien meilleure reconnaissance de Lovecraft en France – on lui trouve quelques éminents citoyens pour prendre sa défense, comme Houellebeck qui rédigea un essai à son sujet que nous ne pouvons que vous conseiller de lire.

La fin des années 90 marque hélas le début d’une période moins faste pour le jeu. La publication par feu Jeux Descartes diminue progressivement jusqu’à s’achever avec une réédition augmentée de la mythique campagne Les Masques de Nyarlathotep. Aussi réussie que soit cette réédition (et elle l’est), elle est le symbole du manque de renouvellement dont souffre la gamme, en particulier en VO.

Ce qui nous amène au retour de l’AdC en France lancé en grande pompe en 2008 par les éditions Sans Détour. L’orientation choisie par l’éditeur est clairement annoncé avec un livre de base retravaillé en profondeur et s’éloignant très largement de la VO (Voir "Ce n’est pas la VF de la VO"). Cette édition anniversaire préserve les apports de cette dernière, sans changement aux corrections prêtes. Le tout profite cependant de quelques changements de taille.

Le premier à sauter aux yeux est bien entendu l’apparition de la couleur. La maquette gagne en lisibilité. Les illustrations se voient enrichies par de nombreux travaux issus des vieux suppléments ou encore des autres jeux dérivés du même univers – en particulier Horreur à Arkham et les jeux de carte à collectionner. Le résultat est vraiment superbe !

Le fond se voit lui enrichi de plusieurs articles additionnels. Commeçons par le grimoire, principal bénéficiaire de ces ajouts. Les grimoires inférieurs et supérieurs ont été fondus en un seul et passent d’une dizaine de pages à presque quarante.

Les autres articles concernent l’univers, avec par exemple une revue des romanciers ayant enrichi le mythe et sur lesquels l’AdC se base(1). Sans être essentiels, ces ajouts sont loin d’être anecdotiques et offrent de nouvelles pistes au MJ pour mieux comprendre la construction du Mythe et comment l’utiliser. Dommage que la rétrospective de tous les suppléments jamais parus pour l’AdC prenne la forme d’encadrés disséminés dans tout le supplément, plutôt que d’être regroupée dans un même chapitre. Ce format la prive du caractère encyclopédique qui aurait du être la sienne et la rend moins exploitable comme source d’inspiration/référence.

La dernière modification de taille concerne les scénarios. C’est en effet une campagne de quatre chapitres entièrement nouvelle qui est proposée ici, en remplacement de celle figurant dans la précédente édition. Celle-ci se déroule en Afrique, essentiellement au Soudan, et voit les aventuriers maudits contre leur grès par la morsure d’une goule. Tout en sauvant leur vie, ils auront l’occasion de secourir une tribu soudanaise et lever le voile sur des légendes très anciennes. Cette petite campagne se révèle de très haute tenue. Elle est extrêmement bien documentée et les nombreux encarts détaillant son contexte africain constituent à eux seuls un mini-supplément de background réutilisable pour d’autres aventures.

Cette nouvelle édition limite les scories au minimum. Quelques erreurs de typographie ou d’orthographe qui ne font pas justice à une édition anniversaire dont on attend la perfection, surtout pour des textes qui n’en sont pas à leur première relecture, la fiche de personnage qui est la seule à ne pas avoir profité de la mise en couleur… Autant dire rien de notable.


Ce n’est pas la VF de la VO

Il semble utile de clarifier la situation de la VF par rapport à la VO. Sans Détour ne ménage en effet pas ses efforts pour adapter le matériel disponible aux attentes de joueurs francophones lorsque c’est nécessaire. Et ce, dès la publication du livre de base qui est estampillé "6e édition", mais n’est en rien la traduction de la 6e édition américaine.

En VO, les changements d’une édition à l’autre ont en effet souvent été minimes, et Chaosium a encore accentué ce phénomène ces dernières années en s’évertuant à réimprimer le même matériel sous une couverture différente ou, dans le meilleur de cas, une nouvelle maquette, comme c’est le cas de la 6e édition US.

C’est encore pire avec les éditions anniversaires. L’édition 20e anniversaire n’est qu’une version plus luxueuse et re-maquettée de l’édition standard. L’édition 25e anniversaire ne change plus que la couverture, tout comme l’édition 30e anniversaire. Cette dernière n’a donc pas de lien avec l’édition 30e anniversaire française, qui, en plus d’offrir elle aussi une nouvelle maquette – entièrement en couleurs pour la première fois de l’histoire du jeu, est largement enrichie.


Les anciens joueurs auront le plaisir de renouveler leur livre de base tout en profitant d’ajouts non négligeables. Ceux qui ne veulent pas investir pourront continuer à profiter des futurs suppléments, puisqu’il n’y a pas eu de changement dans les règles. Les nouveaux joueurs seront conquis par la qualité de présentation de cette édition. Tout le monde est content, et pour cause : cette édition 30e anniversaire montre à quel point Sans Détour avait raison de relancer l’Appel de Cthulhu, et à quel point il était le bon éditeur pour le faire !

 

(1) Rappelons à ce titre que l’Appel de Cthulhu est la seule adaptation en jeu de rôle du Mythe à bénéficier d’une licence étendue aux successeurs de Lovecraft et donc, la seule à intégrer leurs créations comme les Chiens de Tindalos.