Né à Barcelone en 1971, Albert Monteys est l’une des plus populaires signatures du magazine ‘El Jueves’ où il réalise depuis les années 1990 la série « Tato » (en solo) et « ¡Para tí que eres Joven! » (en collaboration avec Manel Fontdevila) ainsi que des pages sur les actualités. Il dessine également « Carlitos Fax » (pour le magazine pour enfants ‘Monsieur K’, histoires rassemblées en deux albums) et « Calavera Lunar », comédie de science-fiction. En 2019, il sort « Univers ! » (Dargaud) d’abord édité au format numérique chez Panel Syndicate puis compilé en version papier chez Astiberri en 2018.

Bonjour Albert

Bonjour Khimaira !

Combien de temps avez-vous passé pour réaliser votre album ? Travaillez-vous entièrement en numérique ou en traditionnel ?

C’est difficile à dire. “Univers!” a été publié en numérique sur le site panelsyndicate.com au cours de ces quatre dernières années, mais je n’ai pas travaillé exclusivement sur cette série pendant ce temps. J’ai combiné la production d' »Univers!” avec la gestion de la revue satirique espagnole “Orgullo y Satisfacción” et le roman graphique “Solid State”, écrit par Matt Fraction et Jonathan Coulton. Chaque fois que j’ai eu du temps, j’ai réalisé un nouveau récit, qui m’a pris deux ou trois mois. Dans son ensemble, le volume d' »Univers!”, qui est publié en papier, a pris un an et demi de travail.

Je sais presque toujours combien de temps je vais prendre pour dessiner un récit, mais je ne sais jamais combien de temps je vais prendre pour l’écrire. Avant de commencer à dessiner, j’aime avoir le récit totalement fini et cela prend du temps.

Je dessine sur papier, avec de l’encre et un pinceau, je trouve cela plus intéressant que de travailler entièrement en numérique. Quand c’est possible, j’aime faire le lettrage à la main mais pour “Univers!” comme il fallait écrire en trois langues différentes (originalement je le publie en espagnol, anglais et catalan) cela aurait pris trop de temps. Pour les couleurs je travaille en numérique, avec Photoshop.

Pourquoi ce format à l’italienne ?

“Univers!” est conçu pour être lu sur un écran. La difficulté de travailler ainsi est qu’on ne sait jamais quelle technologie le lecteur choisira pour vous lire. Cela peut-être un smartphone, un écran d’ordinateur, une tablette… J’ai choisi le format à l’italienne parce que c’est le format le mieux adapté aux différents écrans. Je n’aime pas que le lecteur zoom sur la page, mon objectif a toujours été de proposer la lecture la plus agréable et la plus adaptée possible.

Après avoir pris la décision d’utiliser le format à l’italienne je me suis rendu compte que ça fonctionnait très bien pour la narration. Nous percevons le monde en format panoramique et c’est plus naturel dans les arts narratifs qui utilisent ce format, comme le cinéma, par exemple. Ce format m’a donné une nouvelle manière de raconter en images et je trouve le résultat très satisfaisant.

Pourquoi plusieurs récits courts plutôt qu’un seul récit long ?

J’ai toujours pensé que la science-fiction fonctionnait mieux en formats courts. La science-fiction est un genre ou les idées priment sur les personnages et une bonne idée est perturbée quand on l’utilise dans un roman trop long. Aussi, quand j’ai publié « Univers!” en numérique j’avais l’idée de faire en sorte que chaque épisode soit indépendant.

L’idée de la série c’est de raconter un seul futur. Tous les récits se passent dans le même futur, mais en montrant différents aspects et différents personnages, une mosaïque de récits avec petites (ou grandes) connections les un avec les autres qui maintiennent le lecteur en haleine et qui montrent une nouvelle histoire à chaque épisode.

Robots, extraterrestres, téléportation, vaisseaux spatiaux… Vos histoires sont-elles plus du domaine de la SF ou de l’anticipation ?

Mon intention avec “Univers!” n’est pas d’être prophétique, je pense que je fais plus de la science-fiction que de l’anticipation. Le plaisir que j’ai en racontant cette histoire c’est de laisser planer l’imagination dans cet univers pop, presque rétro-futuriste et coloré. C’est un univers graphique où je suis très à l’aise, où j’essaie de donner une logique réaliste a tout ça et me faire plaisir. Si l’auteur ne s’amuse pas, le lecteur ne s’amuse pas non plus.

Pour faire de la bonne anticipation on doit connaitre la société et la science. Moi je fais des histoires humaines dans un monde de science-fiction pop. Si la science est inexacte dans mes récits, ce n’est pas un problème du moment que le récit fonctionne.

Aucun des cinq récits ne laisse vraiment de place à l’optimisme.  Êtes-vous d’un tempérament pessimiste ?

Le fait que je raconte que dans le futur il y aura des êtres humains sur la terre, c’est très optimiste ! Je ne suis pas pessimiste du tout et je n’ai pas l’impression que mes récits soient pessimistes. Au contraire, ce que je raconte c’est que même s’il y a des pouvoirs qui contrôlent notre vie, même si l’avenir est plus sombre, il y a toujours de la place pour l’intimité, pour les petites histoires. Je suis un humaniste et plus que raconter de grandes odyssées spatiales, plus que l’action, ce que m’intéresse dans le futur ce sont les petits moments intimes qui montrent que nous serons toujours humains. Je trouve ça réconfortant.

On retrouve l’influence de Charles Burns dans votre travail. Quelles sont vos inspirations artistiques et littéraires ?

J’adore Charles Burns et cela me fait plaisir que vous trouviez des références de son style dans mon dessin. Mes inspirations artistiques son très variés mais pour « Univers! » j’ai regardé beaucoup de comics de science-fiction américains des années cinquante et soixante. Jack Kirby est une grande influence pour moi, mais on doit prendre beaucoup de précautions avec Kirby. C’est un style si reconnaissable et puissant qu’on risque de devenir un clone si on utilise ses traits. Les bandes dessinées des Humanoïdes Associés des années soixante-dix et début quatre-vingt sont aussi une grande source d’inspiration.

Au niveau littéraire, “Univers!” s’inspire principalement des récits américains de science-fiction, les classiques comme Asimov, Sturgeon ou Dick, pour ne citer qu’eux. J’ai déjà dit que le récit court donne ses meilleurs ouvrages et j’ai toujours adoré ces vieilles anthologies pleine d’idées racontés en vingt pages. La série de télévision “The Twilight Zone” est pour moi l’exemple même de ce genre, et elle a été toujours dans ma tête quand j’ai écrit “Univers!”.

Avez-vous une petite anecdote à partager avec nos lecteurs concernant la création de cet album ?

En Espagne je suis plutôt connu pour mes histoires satiriques avec un style très différent d’ »Univers!”. Gros nez, caricature et humour sur l’actualité politique. C’est ce que j’ai fait pendant les vingt premières années de ma carrière comme auteur. Il y a quelques années je m’ennuyais à faire toujours la même chose et j’ai décidé de changer et de faire des récits de science-fiction, parce que j’ai toujours aimé ce genre. J’ai changé mon style de dessin pour cette  nouvelle étape et pour beaucoup de lecteurs c’était très surprenant de voir un dessinateur d’humour avec un dessin plus libre et racontant des récits de science-fiction. En dédicaces, en Espagne, je demande à chaque lecteur s’il aime plus mon coté « gros nez » ou mon coté « science-fiction » et je dessine la dédicace selon sa réponse.

Merci Albert.

Merci à vous.